Je suis une guerrière. Je suis puissante. Je vaincrais. Je serais celle qui vous tuera tous. Je serais celle qui massacrera tout durant des décennies. Je vous tuerais tous d'ailleurs. Je suis celle qui régnera sur la forêt, sur le monde, sur l'univers. Je suis celle qui réussira. Pas celle qui va sombrer, pas celle qui va tomber, non, pas celle qui va échouer. Je serais la meilleure. Je serais surtout une reine. Une personne exceptionnelle, quelqu'un qui n'a pas froid au yeux, qui n'a pas la boule au ventre. Non, je vaincrais. Pour ça je m'entraîne, dur. Mais je m'entraîne. Je n'aime pas la vision du monde pacifique que se font les gens. Je suis juste quelqu'un qui aime se battre, quelqu'un qui aime l'action, quelqu'un qui aime tout ce qui tourne autour de l'exception, quelque chose qui vous rendra moins con, quelque chose qui vous fera échapper à votre passé, quelque chose qui peut simplement vous faire oublier. Il n'y a que ça de vrai. Il n'y a que ça de juste. Il n'y a que le combat qui me fait réellement moi. Il n'y à que ça. 

Je courais. Je voulais continuer à m'entraîner. J'étais en terre libre. Je voulais travailler mon endurance. Je courrais sans cesse. Je ne faisais que ça. Jusqu'où j'allais arriver ? Combien de temps allais-je tenir ? Je ne connaissais pas encore mes limites. C'est aujourd'hui que tout allait se dévoiler, aujourd'hui était un moment de vérité. Aujourd'hui aller tout révéler. Je voulais me prouver à moi que j'allais y arriver, que je pouvais continuer, que j'allais tout contrôler, bientôt, sous peu, si Dieu le veut. Je n'allais pas m'arrêter maintenant, je n'allais pas abandonner si facilement. Je continuerais à courir, jusqu'à en mourir. Je continuerais à persévérer, jusqu'à en crever. Sous le ciel étoilé, rien ne pourra jamais m'arrêter, rien ne pourra jamais se terminer. Je l'ai déjà dit, je ne compte pas abandonner. C'est une course folle, pas une farandole. Mais quelqu'un était là. Quelqu'un se pointa. Quelqu'un qui gâcha. Quelqu'un qui me tua. Quelqu'un qui me fit mal. Quelqu'un qui m'abattit en quelques sortes. Elle avait achevé mon rêve. Elle venait de tout stopper. Sa présence était la seule cause de perturbation. C'était tout. Et ça suffisait pour tout gâcher.


« Étoile Éphémère... » lançais-je d'un ton mi-essoufflé mi-épuisée.

Songer, s'évader, rêver. Émerger ou sombrer. Enrager pour ensuite abréger la colère.  Courir pour conquérir. Inspirer, expirer pour finalement s'étouffer. S'exprimer pour décimer. Charmer, aimer, fantasmer, déprimer. Vivre pour devenir cadavre. A quoi rimait tout ceci ? Je ne savais pas, en ce moment de démence, mes pensées étaient embrouillées, et rien n'avait plus de sens. Les mots s'entrechoquaient sur les parois de mon crâne sans que j'en reconnaisse le son. Un délire pareil ne m'était arrivé qu'une seule fois et il y a de cela bien longtemps. Je repense à cette période, sombre et brumeuse. J'avais goûté à l'amère saveur de la mort. Pas n'importe laquelle. Celle de mes parents. Sans nul doute, la chose la plus ignoble qu'un être puisse connaître. Je repense à la manière dont ils ont péri puis à la folie qui s'empara de moi en conséquence. On est si vulnérable dans ces moments atroces qu'elle ne fait qu'une bouchée de toi. Elle t'enveloppe, te susurrant des mots doux et hypnotiques. Avec elle, tu te sens en sécurité, tu n'as plus qu'à te laisser guider, sans moindre effort, la laissant te diriger à sa guise. Mais ce qu'elle faisait de toi t'importe peu car tu n'en avais plus rien à faire de toi-même et de ce foutu monde maudit. Et quand tu te rendis compte de ta sottise, il était trop tard, tu es devenu son joli pantin dont elle maîtrise faits et gestes. Couper les files et reprendre le dessus, est alors devenu mission impossible. Émerger ou sombrer. Cette fois-ci, cette phrase avait tout son sens. Je devais me reprendre, et vite, avant que la folie ne m'englobe totalement, d'une manière irréversible. Et, avec une grande détermination, je réussis. Elle se désintéressa de ma pauvre personne, me trouvant sans doute trop lucide à son goût. Depuis cette phase, je me suis jurée de ne plus jamais sombrer dans la démence, quoi qu'il arrive.  

Je marche depuis déjà quelques temps. Et en repensant à cette période de ma vie, je n'ai pas pris garde où j'allais. A peine ai-je analysé les lieux et décrété que je me trouvais en terre libre, une odeur me parvint. Une effluve perfide à mon goût, puissante, familière. Je reconnus sans une hésitation, l'odeur d'Etoile du Présage. La meneuse du Clan des Océans apparut peu après, l'air essoufflée. Elle courait et s'arrêta juste à temps pour ne pas me rentrer dedans. Elle me regarda, l'air surprise par ma présence. C'était plutôt moi qui devait l'être de son état. Peut-être chassait-elle ? Je ne sais pourquoi mais j'en étais pas convaincu. Vu le regard qu'elle posait sur moi, j'avais l'impression de l'avoir interrompue dans une grande action. Enfin grande, pour elle. Je la fixais de mes grandes prunelles essayant de la pénétrer et découvrir ce qui peut bien se passer dans l'esprit d'une chatte telle que elle. D'après les rumeurs, c'est une chef puissante, qui ne désire que conquérir. C'est fort possible. Peut-être qu'elle n'a pas de coeur comme le disent certains. C'est plausible aussi. Mais je n'y crois pas, tout le monde a une parcelle de bien, d'amour en sois, plus ou moins flagrante. Des fois, elle est tellement ancrée profondément en toi, que toi-même te croit être une pierre, dur, sans pitié. Je l'entendis murmurer mon nom, d'une voix à la fois surprise et essoufflée par l'effort. Je décidais d'être gentille et courtoise, ne sachant à quoi m'attendre. « Bonjour Etoile du Présage. Enchantée, je suis heureuse d'enfin faire votre rencontre. » J'avais dit cela, en toute sincérité. Je n'avais encore jamais parlée seule à seule, avec la meneuse du Clan des Océans, et il me hâtait d'enfin la rencontrer.

« J'étais persuadée qu'un jour j'allais y arriver. J'étais presque certaine que j'arriverais à m'envoler, que j'irais tous les retrouver, peu importe le temps que ça prendra. J'étais certaine que toi aussi tu les rejoindra, que toi aussi tu t'en iras. Tout le monde s'en va un jour ou l'autre de toute manière. Alors pour pas moi ? Pourquoi pas toi ? Pourquoi pas eux, pourquoi pas nous ? Tu vois, c'est comme ça que je vois les choses. Tout peut arriver n'importe quand à n'importe qui, et ça sans que personne ne le sache, ni même ne s'en rende compte. »

Après avoir prononcé son nom, je vis que la meneuse du Clan des Nuages me regardait comme une vulgaire étrangère. Si c'était ce que j'étais à ses yeux je m'en fichais royalement, c'est ce qu'elle était pour les miens. Je ne dis pas ça uniquement parce que je craignais qu'elle pense une telle chose de moi, mais simplement parce que c'était vrai et que je ne pouvais pas mentir en disant que je la connaissais vraiment. C'est vrai après tout, je ne l'ai rencontré qu'à l'Assemblée. Mais je pense que cette rencontre m'avait suffit pour me faire mon avis sur la chef. Elle ne me plaisait pas du tout. Elle était tellement pacifiste. J'éprouvais une sorte de rancœur envers elle, comme un dégoût. J'avais ce drôle de sentiment que je ne pouvais pas vraiment chasser de mon esprit, ni même de mon cœur. Je ne comprenais pas moi-même pourquoi j'éprouvais cela vis-à-vis de la meneuse du Clan des Nuages. Il faut dire que c'était assez étrange tout ça. Très étrange, même. C'était les sentiments après tout, ça ne se contrôlais pas comme on le voulait, on ne pouvait rien y changer. C'était nous, notre conscience, notre corps, notre âme et tout le bordel qui choisissaient réellement. Jusqu'à ce jour, on ne peut pas choisir qui on va apprécier ou pas, ce n'était pas à nous de faire ce choix, c'était comme ça et il faut dire que ce n'était pas plus mal finalement.

Je regardais toujours la femelle dirigeante du Clan des Nuages qui me dévisageait encore à la manière d'une étrangère. J'avais envie de lui crier que c'est bon, qu'elle ne fasse pas comme si elle ne me connaissait pas. Mais finalement elle se bougea et décida enfin à parler. « Bonjour Etoile du Présage. Enchantée, je suis heureuse d'enfin faire votre rencontre. » Nous nous étions déjà vus à l'Assemblée, c'était vrai. Mais il faut dire qu'en dehors de ça, c'était la première fois que je voyais la meneuse du Clan des Nuages. Je m'assis tranquillement en face de la jeune femelle. J'allais enfin pouvoir discuter avec elle. Peut-être que j'arriverais à caser toutes les reproches et les questions que j'avais à lui dire. J'avais enroulé ma queue immaculée autour de mes pattes, regardé quelques instants les cieux pour observer les étoiles avant d'enfin revenir sur la meneuse. Il faut dire que je n'allais pas rester éternellement plongée dans mes pensées en laissant la meneuse du Clan des Nuages en plan. on me l'avait déjà fait et je dois dire que ce n'était pas fort agréable. De toute façon j'avais horreur que l'on m'oublie. Autrefois c'était comme une sorte de petit défaut, mais à présent ce n'était plus vraiment possible puisque j'occupais un rang important. J'étais devenue quelqu'un de presque indispensable à la forêt, alors c'était sûr qu'on ne pouvait plus vraiment m'oublier. « Bonsoir Étoile Éphémère. Moi de-même. » lançais-je entre deux inspirations. 

Je me demandais comment est-ce qu'elle vivait au quotidien, comment est-ce qu'elle se chargeait de son Clan, quels manières avaient ses guerriers. Je me demandais simplement comment le Clan des Nuages entier vivait-il. Il faut dire que c'était une question assez perturbante, certes, mais que tout le monde se posait vis-à-vis des Clans ennemis. Au fond je pense qu'on vivait tout à peu près pareil, à quelques exceptions près. C'étaient de simples petits détails qui faisaient le tout. Je levais à nouveau la tête vers le ciel avant d'entamer une conversation avec la meneuse. « Comment se porte le Clan des Nuages ? » Comme si cela m'intéressait. Mais il fallait bien parler de quelque chose, il fallait bien lancer un sujet. Et je n'avais aucune envie de parler de la pluie et du beau temps, alors autant poser des questions sur les Clans. Surtout que la question me reviendrais et que je pourrais y répondre, j'en étais certaine.

Je l'observe. Elle est d'une couleur blanchâtre, tellement que je n'ai vu cette couleur nul part ailleurs. Des yeux bleus azurs, tel le reflet de la mer. On dirait un ange sorti du ciel. Invincible. Puissante. Admirée. Rien ne l'atteint, rien ne la salit. Elle sait tout, gouverne tout. Rien ne lui échappe. Elle est crainte par tous. Je n'arrive à la cerner. Finalement n'est-elle pas plus proche du démon ? Sans pitié. Froide. Distante. Elle est si mystérieuse. Comment savoir ce qui se cache derrière cette coquille qu'elle s'est faite ? Un être sans coeur ou bien une personne tiraillée, perdue ? Pourquoi s'est-elle faite cette carapace ? Qu'a t'il pu bien se passer pour qu'elle en arrive là ? Elle renferme tant de secrets qu'elle seule connait. J'espère qu'en parlant aujourd'hui avec elle, j'allais apprendre à connaitre cette étrange chatte qui attise ma curiosité et ainsi, partir sur une bonne fin. Elle me réponds à son tour, neutre. « Bonsoir Étoile Éphémère. Moi de-même. » Etoile du Présage était donc chef. Je me demandais comment elle était avec son clan, si elle était aussi distante avec eux qu'avec les autres clans. Je le vois bien, elle aime son clan et se battra toujours pour lui.  C'est une guerrière. Jamais elle n'abandonnera. Un obstacle se dresse sur sa route ? Elle le détruira. C'est une machine. Et je me demande si elle est capable d'éprouver des sentiments. Bien sur qu'elle en est capable.. La colère, l'agressivité, l'exaspération, tout ceci elle m'a l'air de le connaître parfaitement. Mais j'entends par sentiments, l'amour, la compassion, le tact. Je ne l'ai jamais vu éprouvée de tels sentiments, mais je ne la connais que trop peu pour pouvoir déjà la juger. « Comment se porte le Clan des Nuages ? » Elle entame donc la discussion. Au moins, c'est direct. Il ne sert à rien de parler avec cette chatte de tout et de rien, on sait toutes deux que ce serait ridicule. Superficiel même. Car on sait parfaitement que les choses ne se résument pas à la pluie et au beau temps, tout est bien plus complexe. Devenir chef m'a fait apprendre à devenir réaliste en somme. Cela ne m'empêche pas d'espérer, non. Juste de comprendre plus de choses sur notre monde, et que tout n'est pas rose. Que tout n'est pas noir ou blanc. Que dans l'ombre des belles choses se cachent le reste. Plus sombre, plus machiavélique et calculateur. Que rien n'est jamais au hasard. Et que si, aujourd'hui, nous parlons toutes deux, c'est que c'est voulu. Par qui et pourquoi ? Aucune idée. Il nous faut toujours une part de mystères et de doutes sinon la vie n'aurait plus de goût. C'est ainsi. J'aspire un bon coup, et réponds. « Pour l'instant, à merveille. Une portée vient de naître et la chasse est fructueuse en cette saison. Mais nous nous préparons pour les prochains mois qui s'annoncent bien plus durs. Et vous, comment va votre Clan ? » Aujourd'hui, tout va bien, mais demain, qui sait ce que nous réservera l'avenir ? A mon avis, pas que de bonnes choses. Une guerre se prépare, il n'y a aucun doute.

Je n'avais pas vraiment réfléchis à ce que j'allais dire mais c'était la seule question que je pouvais poser dans ce genre de situation. Le "ça va" et puis parler de la pluie et du beau temps quoi. Même si je n'aimais pas beaucoup la meneuse ça ne faisait rien. J'avais un peu relevé la tête, puis regardé à nouveau la meneuse du Clan des Nuages. En ce moment il y avait quelques petites tensions, certes, mais cela ne pouvait pas réellement empêcher une simple conversations entre chefs de Clan de la forêt. Étoile Éphémère n'était pas considérée comme une meneuse pour ma part. Elle était trop pacifiste et peu guerrière, motivée ou déterminée. Pourtant il fallait ces trois qualités pour pouvoir tenir bon et ne jamais abandonné. « Pour l'instant, à merveille. Une portée vient de naître et la chasse est fructueuse en cette saison. Mais nous nous préparons pour les prochains mois qui s'annoncent bien plus durs. Et vous, comment va votre Clan ? » Elle m'avait retournée la question, comme prévue. Je disais ça comme si j'avais à exécuter un plan, ce qui n'était évidemment pas le cas. C'était juste que c'était logique qu'elle me retourne la question si elle était une personne polie et courtoise, et non égoïste. Je savais personnellement que je n'aurais jamais retourné cette question étant donné que je possède en moi ces trois défauts. « Bien merci. » J'avais fais court. Je ne voulais pas étaler complètement ma vie à la meneuse adverse. Je n'étais pas vraiment ici pour ça. De toute façon je ne savais même plus ce que je faisais à cet endroit-là. Je crois que j'étais encore partie sur un coup de tête. Effectivement ça m'arrivait souvent. Mais on ne peut pas en vouloir à quelqu'un lorsqu'il veut oublier son passé ou tout simplement réfléchir sur l'avenir. « Et toi, que racontes-tu ? »