J'ai peur mais je ne dis rien. Je ne dis rien parce que je suis fort, parce que je sais que je peux endurer ce clavaire. Je sais que je peux le faire, je sais que je peux tout endurer, désormais. Ça m'a détruit, oui, mais ça m'as rendu plus fort, ça m'a endurcit ... Et mon cœur s'est recouvert d'une couche de froideur, de glace, de pierre supplémentaire. Je sais que je devrais passer à autre chose, mais au fond ça ne s'en ira jamais vraiment, et qu'un petit bout de cette triste réalité demeurera toujours là, enfouie en moi, telle une bête prête à ressortir pour tout détruire sur son passage.
Je voudrais vraiment oublier, oui franchement, mais c'est impossible. Et ça me mine, ça me tue.
Et personne, non personne, ne peux, en cet instant, comprendre ce que j'endure.

∞ ∞ ∞

Un mouvement, un coup plutôt, entre mes côtes me tira de mon semi sommeil mais je ne réagis pas. Encore à moitié somnolant, des brides de rêve - ou cauchemars ? - défilant à moitié devant mes yeux, se fondant avec les roseaux entrelacés de la tanière des novices, je clignais des yeux, le regard incertain, perdu dans le vague. Je voyais flou, et les clignements de mes paupières n’y changeaient rien. Mes griffes raclaient la terre, encore sous l’emprise de la terreur de la nuit, mon pelage était hérissé sur mon échine, comme si je faisais face à un ou plusieurs ennemis. Je me croyais encore en train de divaguer, mes griffes fouillant ma litière comme pour me raccrocher à quelque chose de solide, de bien concret.
Je secouais la tête, pour bien aligner mes idées mélangées dans mon espoir. Mon pouls, jusqu’à présent rapide se ralenti pour finalement se stabiliser. Ma respiration se calma, et enfin, oui enfin je mis pied à terre, prenant conscience que tout cela n’avais été qu’un simple songe. Qu’un simple rêve.
Il faisait jour, car, à présent, je discernais distinctement, à travers les plantes aquatiques tressées entre elles, le camp illuminé des faibles rayons du soleil levant. Aucun bruit venant du dehors, cependant, il devait donc être assez tôt pour qu’il n’y ait âme qui vive sur la petite plage de galet, faisant office de Camp, abritée par une sorte de " forêt " de roseaux.
Nouveau coup entre les côtes, j’étouffais un grondement.

« Au secours ! Laissez - moi sortir ! »

Je me tournais vivement, les oreilles rabattues en arrières, un grondement dans la gorge, parfaitement réveillé maintenant. Lorsque je reconnu l’auteur de ces suppliques, et donc de ces coups – involontaires soit – mon grognement mourut sur mes lèvres et mon regard s’emplit de sympathie, chose peu commune chez ma petite personne. Nuage des Illusions, une mignonne petite apprentie de mon Clan, au pelage blanc cassé pourvut de quelques aplats d’un brun étrange, tirant vers le noir / ocre foncé et aux yeux d’un bleu glacial, se tordait sur sa litière de plumes et de fougères, visiblement en train de cauchemarder.
Posant ma patte sur son épaule je la secouais pour la tirer de ce mauvais rêve, la queue battant mes flancs avec irritation, tout de même.

« Eh oh ! » Miaulais – je avec plus de rudeur que je ne l’avais voulu. « Arrête de te démener comme ça, tu vas réveiller tout le monde … »

Spoiler:

Pas de larmes. Pas de larmes pour moi. Jamais. Non, plus jamais. Elles ont déjà trop coulées. J'ai déjà trop pleuré, trop faiblis. J'essaye, chaque jour, d'oublier, de ne plus y penser. Mais c'est dur, très dur, tu sais ... Je pense, qu'à force, j'y arriverai. Mais à quel prix ? N'ai - je pas suffisamment remboursé ma dette ? N'ai - je pas assez souffert ? On ne souffre jamais assez dans une vie, paraît - il. Tss, mais tout ça ne sont que des contes, que des histoires pour enfants, prêts à croire n'importe quoi. Mais moi, je ne suis pas aussi crédules qu'eux, je sais que ce n'est pas vrai, ou du moins pas totalement.
Pour vivre on a tous besoin de bonheur, d'amitié, d'amour ... Mais où est - il cet amour ? Viendra t - il un jour ? Reviendra t - il seulement ...
J'en doute. J'en doute très fort.

Nuage des Illusions releva la tête, me tirant de mes pensées pessimistes, et me toisa durement, mécontente, apparemment, de s'être fait réveillée si rudement. Elle me toisa de haut en bas, d'un œil qui semblait critique, quoique encore ensommeillé. L'apprentie n'avait pas l'air enchantée de s'être fait sortir de son sommeil d'une telle manière et sa façon de m'étudier, son regard ne me laissa deviner aucune amitié, ni gentillesse. Cette attitude me laissais bien indifférent et j'allais me lever pour m'éloigner lorsque qu'elle ouvrit sa petite gueule rose pour miauler, peu amène.

« Hum ... Oui et alors ? Est ce que c'est ma faute si je fais des cauchemars ? Je ne crois pas non ! »

J'haussais les sourcils, d'un air moqueur. Quelle langue de vipère, celle là. Pas une pour rattraper l'autre, vraiment. Mais si elle pensait me toucher avec ses piques et mots écorcheurs elle se mettait la patte dans l’œil ; depuis bien longtemps je ne fais plus attention aux insultes, aux attaques des autres, me contentant de les contrer. Retour à l'envoyeur, comme on dit.
Baillant ostensiblement, mon regard moqueur toujours fixé sur la novice, j'entrepris de l’étudier avec plus de minutions que peu de temps auparavant. Elle était bien mignonne - mais je me gardais bien de me l'avouer, ayant appris à me méfier de ce l'on appelle attirance, qui se transforme, plus tard, en un amour fou et destructeur - ; avec son joli poil crème et ras, soyeux malgré les brins de mousse et de fougères séchées qui le parsemait. Sur le museau, les extrémités des pattes et des oreilles sa robe blanc cassée cédais la place à une autre couleur plus foncée, plus proche du noir, d'une élégante couleur chocolat, il me semble. Son corps, dans l'ensemble, était bien proportionné. Mais ce qui me laissa un temps d'arrêt fut ses yeux. Glacials, tels deux icebergs, ils me fixaient avec une telle intensité qui j'en grelotais intérieurement.
Je papillonnais des yeux et secouais la tête pour m'arracher à cette vision polaire, puis, plantant mon regard d'ambre et de vert dans le sien, si opposé à mes prunelles, je plissais les yeux, l’œil furibond.

« Si t'as rien de mieux à me dire rendors toi ! »

Crachai - je à son intention, les griffes à demi plantées sans sa litière. Je ne voulais pas être méchant avec la jeune femelle ivoire et brune, elle ne me semblait pas si mauvaise que ça qui plus est, mais aujourd'hui n'était pas un jour à aller me chercher des noises ; comme tous les autres jours d'ailleurs.

Spoiler:

Je n'ai pas peur du noir, sans lui je ne pourrais pas voir la lumière, si belle dans sa robe blanche. Je n'ai pas peur de la mort, pourrais - je vivre sinon ? Je n'ai pas peur des illusions, elles m'aident à mieux voir la réalité. Je n'ai pas peur de la peur, je ne la connais pas. Je ne crains pas ma fin, car elle est ne surviendra pas avant longtemps pour moi. Je n'ai pas peur de pleurer, seulement d'être faible. Je ne crains pas l'amour, mais la baffe, la claque, la douleur qui surviendra en retour. Je ne crains pas les autres, car je me sais supérieur à eux ...
Je n'ai pas peur de la chute, non, juste de ne pas m'en relever. De ne jamais pourvoir me redresser, une fois tombé. Jamais ...

Mes yeux, plantés dans les siens, brillaient d'une flamme farouche et révoltée. Mon esprit, tantôt présent, tantôt divaguant, ne cessait de se poser de multiples questions ... Comme par exemple ... : Qui était - elle vraiment ? Oui, qui était - elle, à changer constamment d'attitude, un coup sur la défensive, et l'instant suivant curieuse mais réservée ? Pour qui se prenait - elle ? Pour qui, je vous le demande ! Trop de bonnes questions, sans réponses malheureusement. Mais un jour, un jour viendra, où j'aurais ces maudites réponses, à ces fichues questions, et ce jour là, plus personne ne pourra m’atteindre, tellement je serais haut perché, comparé à eux.

« Je n'ai pas la moindre envie de me rendormir. » Déclara t - elle, plus sereine soudainement. « J'aimerais plutôt discuter avec toi .. Apprendre à te connaître. Tu me parais étrange et ça m'intrigue. »

J'arquai de nouveau ce fameux sourcil, pris au dépourvu. Ce qu'elle pouvait - déjà - commencer à m'énerver. Un coup elle me balançait des paroles comme pour me dire d'aller voir ailleurs si j'y étais et d'un autre elle me disait de rester pour bavarder sagement. C'était vraiment se fiche royalement de moi. Levant les yeux au ciel pour les rabaisser aussitôt vers Nuage des Illusions, que je dominais largement en taille, je fis une moue méprisante à son intention ; caractéristique de ma personne.
Elle, me fixait maintenant avec un tout nouveau visage, les yeux, qui étaient allumés de cette lueur inamicale un peu plus tôt, pétillants, à présent, de curiosité, ce qui eu pour effet de me rebuter un peu plus.

« Et moi je n'ai aucune envie d'apprendre à te connaître ! » Persiflais - je d'un air buté. « Et puis tu perds ton temps avec moi, t'as sûrement bien d'autres choses à faire, j'aime pas parler de toute façon. »

À peine avais - je prononcé ces paroles que je compris que j'aurais mieux fais de la boucler et de me taire, de m'en aller sans demander mon reste. Mais les mots sont plus fort que moi, et ma franchise, ma fiertée et ma hargne prennent souvent le dessus face à tous les autres sentiments qui peuvent se faire ressentir ...
Ça plaît ou ça plaît pas mais j'y peux rien.
Je suis comme ça, et je ne ferais rien pour changer.

Tu sais, j’ai du mal à exprimer mes sentiments. Je suis comme ça. Je suis désolé mais j’en suis incapable. Et tu sais pourquoi ? Tout simplement parce que à chaque fois que j’exprimais le moindre de mes sentiments, l’Abandon, avec un grand A, arrivait, me défiait et gagnait. J’en ai été détruit plusieurs fois. À présent, je montre ce côté froid et méprisant, j’ai voulu faire croire aux autres que j’étais fort mais au final, je me rends compte que je suis encore plus faible qu’avant. Et bien sûr, ça me bouffe de l’intérieur. Ça me détruit, petit à petit, tu vois. Et je sais que rien ne pourra faire cesser cet enfer. Parce j'ai déjà lutté, je me suis déjà battu contre cette force qui me fait couler, et elle est plus forte. Beaucoup plus forte. Et je n'y peux rien, je pourrais me tuer à lutter contre elle que le résultat final ne changerai pas d'un pouce ; je me ferais terrasser.
Et moi qui me disais fort, et moi qui me disait inatteignable. Je devrai ouvrir plus souvent les yeux, accepter ce que je voudrais ignorer ... Réaliser que mon petit rêve de gloire ne deviendra sans doute jamais réalité. Mais non. Je veux y croire, tu vois, je suis butté, je suis con, je suis le dernier des idiots mais qu'importe. Je continuerai à espérer, de tout mon cœur, je continuerai à lutter dans ce combat perdu d'avance, je continuerai à vivre. Et alors, peut - être que tout cela ne sera pas vain. Peut - que j'y arriverai, enfin. Peut - être.

« T'aimes pas parler ? Je t'avertis tout de suite que t'ira pas très loin comme ça. Mais si tu préfères tout garder pour toi, te renfermer, alors c'est ton choix ... Mais ... j'en ai assez d'être seule. Tu avais l'air d'avoir quelque chose en commun mais non ! Tu n'as qu'a partir maintenant ! »

Sanglota t - elle, hoquetant comme si elle retenait quelques larmes ... Elle changeait si vite, cette petite, Nuage des Illusions, l'instant d'avant elle me regardais de haut, et voilà qu'elle se mettait à jouer les petites victimes. Comme si j'allais la prendre en pitié. Pff, non mais parfois y en a je vous jure ...
Oui, je n'aime pas parler, surtout avec des personnes qui ne peuvent pas respecter ce que je demande. Oui, sans doute, je n'irai pas très loin comme ça, mais au point où on en est ça n'a plus grande importante. Oui, je me renferme, car je ne fait confiance à personne. Plus maintenant. Avant, avant j'aurais pu, ç'aurait pu se faire, effectivement. Mais trop de douleur est passée par là, trop de souffrance, trop de misère et d’apitoiement. Je suis seul maintenant, je n'ai besoin de personne, de toute façon. Qu'ils aillent voir ailleurs si j'y suis, ça me fera des vacances. Quoi qu'il m'en coûte, j'avancerai. Je n'ai pas besoin que l'on m'aide. Je n'ai pas besoin de leur pitié.
Elle me disait donc de partir ? De m'en aller, de me casser ? Soit alors. Rien de plus simple, quelques pas à peine me séparais de la sortie, alors autant les faire ...
Je me relevai, et m'ébrouais, et, lui jetant un regard inexplicable, où tous les sentiments du monde semblaient danser, je me dirigeais vers la sortie de la tanière. Pourtant je n'en franchis pas le seuil, m'arrêtant juste au bord, ayant la soudaine impression que tout n'avait pas été dit. Que tout n'avait pas été mis au clair.

« T'es pas mieux que mois, tu sais … »

Soufflais - je, en lui jetant un regard en biais, à la dérobée ... tellement vite, tellement bas que personne ne sauras jamais si c’eut eut lieu ou non.

Surtout souris, n'oublie pas de sourire. Souris pour escroquer ton désespoir, souris pour continuer de vivre, souris à ton reflet, dans cette flaque, et devant les gens, et même dans le noir, quand il n'y a personne pour te voir. Sifflote un peu pour croire que tout ne va pas si mal que ça. Souris pour croire que rien n'importe, souris pour te forcer à feindre de vivre, souris toute ta vie à en crever et jusqu'à ce que tu en crèves de ce permanent sourire ...
On me dit de sourire alors j'exécute. On me dit de vivre, alors je vis. On me dit que la vie est belle alors j'y crois. On me hurle de me taire alors je me tais. Mais on me dit de mourir, de me rendre, d'abandonner, alors je pars. Je m'en vais. Loin d'ici, loin de ce monde où l'on me dicte ce que je dois faire.
Loin de cette vie qui n'en n'est plus une.

Elle me fixait, je la fixais. Comme si le temps n'eut plus d'importance. Je lui avais dit le fond de ma pensée et pour l'instant je n'obtenais aucune réaction de sa part. Rien. Zéro. Simplement ce regard posé sur moi, et ses lèvres closes. Comme nouées, cousues par un fil qui m'était impossible de voir.
Une larme naquit au coin de ses yeux pour aller rouler sur sa joue et mourir sur le sol, traçant une tâche sombre sur l’aplat de terre sèche. Je ne relevais pas son manque d'impassibilité, feignant l’indifférence, ne sachant plus très bien si elle était sérieuse ou si elle essayait, en vain, de jouer avec ma sensibilité.

« Et qu'est ce qui te fais dire ça ? »

Et c'est elle qui posait la question alors qu'elle savais pertinemment mieux que moi la réponse. Je me tournais, prenant bien mon temps, de telle sorte à me trouver de trois quart à elle, le soleil projetant mon ombre vacillante dans l'antre des apprentis. Dehors, je pouvais sentir une légère brise souffler à travers les branchages des buissons et des roseaux, je pouvais percevoir le remous des petites vaguelettes de la rivière aller et venir sur la rive, je pouvais ouïr le camp qui s'éveillait lentement, dans un concert de bâillement et la patrouille de l'aube qui revenait à un petit trot régulier et apaisé. Tout notre entourage paraissait serein. Mais pas moi. Pour elle je n'était sûr de rien, sûrement rigolait - elle en son fort intérieur, ou alors se morfondait - elle comme un faible ... Je ne pouvais pas savoir, elle m'en empêchais, affichant un air indéchiffrable. Alors je plantais mon regard dans le sien, fouillant ses yeux à la recherche du moindre signe d'une émotion quelconque, en vain. Elle avait comme une sorte de carapace, de bouclier qui la protégeait contre mes tentatives pour deviner qui se cachait réellement derrière ses allures de frêle et petite apprentie.

« Parce que tu mens et ça se voit. Tu changes tout le temps d'attitude ...  » Déclarais - je posément, le regard mielleux et malicieux, le port de tête bien droit, altier. « Tu es fausse. »

Sur ces mots je me relevais, sans attendre sa réaction, et après l'avoir longuement dévisagé sorti de la tanière et m'assis à quelques pas de la sortie, fixant le soleil levant, la tête quelque peu penchée de côté. J'étais impatient de savoir si elle oserait me rejoindre, ou non.
C'était à elle d'en décider.