« La mort. C'est un bien grand mot que la mort. Qu'est-ce que c'est exactement ? Une sorte d'échappatoire, je pense. Un endroit hors d'atteinte, isolé, où l'on se réfugie quand on n'a plus assez de vie en nous pour vivre. D'aucuns disent que nous montons aux cieux, que nous évoluons parmi les étoiles. Que nous en devenons. Que le Clan des Étoiles fait office de mort une fois la vie partie. D'ailleurs, ils disent aussi que ce Clan chimérique commande toutes choses au sein des Clans. Ils choisissent les chefs, les guérisseurs. Ils ont droit de vie et de mort. Comment peut-être avoir le droit d'influer sur le cours de la vie d'un autre ? Depuis toujours, absolument toujours, on ne cessa de me bourrer le crâne avec ces conneries. Le Clan des Étoiles n'existe pas. C'est une invention créée par les couards pour se rassurer. Pour se leurrer en se disant qu'une fois morts, on vit encore. Mais si c'était le cas, alors pourquoi mourir ? »

Je n'avais pas de telle réflexion. Du moins, pas encore. Ces idées provenaient du tout que forme l'esprit, et du tout que forme un Clan. C'était dur à définir, l'époque à laquelle je comprendrai ces quelques mots. Ce n'était que des mots, des expressions, des petits bruits mis côte à côte qui constituaient un sujet si compliqué à comprendre. D'ailleurs, en saisirai-je jamais le sens ? Je n'étais pas de nature stupide, mais même un guerrier mûr, même un meneur se devait de méditer longuement avant de pouvoir prétendre comprendre un tel sujet. Un sujet sur lequel tout le monde pensait différemment. Il n'y avait pas de réponses à ces questions. Toutes les suppositions étaient correctes.

Ce matin, je m'étais levé aux aurores, bien avant les autres, pour m'éclipser discrètement. J'en avais vraiment marre, de la pouponnière et du camp. Encore heureux qu'on me laissât m'y promener, sinon je serais mort d'ennui. Heureusement, je serai bientôt apprenti. Je songeai un instant à l'éventuel mentor qu'on pourrait m'attribuer... Et si j'avais Étoile des Blizzards ? Oh, comme je serai heureux ! Mais il était peu probable qu'il me choisisse comme apprenti. Il choisirait plutôt Petit Supplice, qui était comme son fils.
J'avançais avec vigueur entre les herbes. Elles n'étaient pas très hautes, mais moi non plus, aussi elles atteignaient facilement mes genoux. J'étais en train de monter une pente raide, et je sautai de rocher en rocher pour me hisser plus rapidement encore. Je provoquai de petits éboulements avec mes pattes postérieures, ce qui me ravit aussitôt. Je sautai sur quelques amalgames de cailloux pour les faire rouler au bas de la pente, et parvint en haut de celle-ci. Une longue plaine s'étendait face à moi. Bien plate. Les herbes y étaient bien plus hautes, si bien qu'il me fut impossible de me repérer une fois avancé parmi elles. Je les aplatissais avant d'avancer, et je mis beaucoup de temps à parcourir quelques longueurs de queue de renard à peine.

Soudain, j'entendis un bruit. Un bruit de pas. Quelqu'un courait entre les herbes. Un guerrier de mon Clan ? Sûrement. Je me plaquai instinctivement au sol, prêt à lui sauter dessus dès qu'il surgirait dans mon champ de vision. Il aurait une belle surprise ! Mais alors que je savourais d'avance l'effet que je produirai, mon esprit s'engourdit soudain. Je regardai autour de moi. J'avais une impression de déjà vu. J'étais déjà venu là. J'en étais persuadé, et pourtant je ne m'étais jamais aventuré jusque là. Le lieu était différent, à l'époque. Plus lumineux, plus chaud... Et l'air était saturé de petits éclats de couleur. Le félin qui progressait dans la plaine surgit soudain devant moi, et, surpris, me fonça dedans. Il me renversa et je ne bougeais pas quelques instants, sonné.

Fuis. Si ça ne va pas, pars. Ça paraît simple dis comme ça, n'est ce pas ? Il suffit de partir, de te lever sur tes petites pattes et de prendre la route qui te fais envie. Tu veux aller dans la forêt ? Vas y. Tu veux te baigner dans une rivière ? Fais le. Tu veux visiter une montagne ? N'hésite pas plus longtemps. Ton existence est en permanence prisonnière de tes hésitations et de tes interrogations. C'est dur de tout laisser derrière soi comme ça. Certains pourtant ont le courage et l'audace de dire adieux à leurs amis, à leurs habitudes, à ce qu'ils connaissent et de s'engager sur le chemin de l'inconnu et de la nouveauté. Faut il admirer ses gens là ou alors sont-ils totalement inconscients ? Ce jugement dépend certainement beaucoup de celui qui le porte.

L'indépendance ne me fait pas forcément envie. Je vis ma vie comme je l'entends. Quand j'en ai marre, je pars me promener, visiter d'autres territoires, faire quelques escapades interdites. Grâce à cela, je respire et je tiens le coup. Ce matin avait été très dur pour moi. Après être sortis de la pouponnière pour prendre l'air, les apprentis du clan m'avaient discrètement coincé dans un coin et m'avait bien embêté. « Brise Envolée aurait mieux fait de ne pas t'accepter dans le clan », « tu seras toujours seul », « tu finiras comme tout le reste de ta famille, à baigner dans ton sang ». Ravissants. C'était mon quotidien, j'étais presque habitué. Et comme à chaque fois que j'étais contrarié, je m'en allais. Jamais l'idée de quitter le clan des Éclairs, ne m'avait traversée l'esprit. Car ce n'était pas ce que je voulais. J'avais envie de rester, de me faire encore martyriser, pour être encore plus en colère. Puis je grandirais, je m’entraînerais et je deviendrais très fort, musclé, habile au combat. Et tous ceux qui m'avaient rejetés, devraient me respecter. Voilà pourquoi je ne devenais pas solitaire. Et puis même, je ne survivrais pas bien longtemps seul dans la forêt. Un chien ou un blaireau me tuerait vite fait.

J'avais besoin d'un peu de joie et de bonne humeur. J'avais donc choisi d'aller à la plaine aux papillons, où j'étais déjà aller. Voir les insectes volant, se promener sous mon nez, me fit plaisir et me permit d'oublier un peu mes peines. J'essayai d'attraper une des jolies bêtes volantes entre mes pattes, en bondissant dans les airs. Je jouai enfin comme un chaton, sans me soucier de mes problèmes qui me poussaient à grandir trop vite. Je galopai après un des papillons quand je me cognai brutalement dans quelqu'un. Le choc me fit tomber en arrière. Ma tête tournait et j'eus beaucoup de mal à me remettre debout. Il fallait pourtant que je me relève vite pour voir contre qui, ou quoi, j'étais rentré. Un autre chaton. Ouf. J'avais eu peur de me retrouver face à un guerrier ou à autre chose. Je souris à l'autre petit, j'étais de très bonne humeur aujourd'hui, malgré le fait que je ne venais de me cogner violemment contre lui.

« Excuse moi, je n'ai pas regarder où j'allais ! Tu n'as pas eu trop mal ? »

Pourquoi ce brusque engourdissement ? Pourquoi avais-je, d'un coup, perdu tous mes moyens et était resté planté là, au milieu des herbes, et au milieu d'un décor qui s'était violemment métamorphosé ? Qu'est-ce que c'était que ce bazar ?! Je devenais fou ! Si jeune et déjà fou. Peut-être le Clan des Étoiles me punissait-il pour avoir quitté le camp. Mais je m'ennuyais tellement, à la pouponnière ! Rester toute la journée dans ce buisson étouffant, très peu pour moi. J'avais proposé aux autres chatons de m'accompagner, ils avaient refusé, évitant les ennuis. Tant pis pour eux ! Moi, je m'amusais au moins. Et puis, c'est l'expérience qui forge le savoir, Maman me l'a dit. Il est stupide de cloîtrer les petits avec leurs mères. Comment voulez-vous qu'ils apprennent par eux-même ? On pourrait au moins sortir avec elles. On serait sous leur surveillance, mais on pourrait explorer la forêt. Vivement mon baptême !

Comment s'était passée la matinée déjà ? Alors... Je m'étais réveillé très tôt, bien avant le lever du soleil. Maman dormait encore, tout le monde dormait encore d'ailleurs. J'avais soufflé dans les oreilles de mes copains pour les faire ouvrir les yeux, mais, furieux que je les ai réveillés, ils se rendormir. Je ne réveillai pas Petit Supplice, de peur de le fâcher aussi. Sinon, on serait ensemble, c'est sûr. Mais je préférais qu'il dorme bien. J'étais sorti sur la pointe des pattes dans le camp, et je m'étais glissé derrière la colline verte pour ne pas me faire voir de Vol du Martinet (PNJ), qui était en faction devant l'entrée qu’empruntaient souvent les guerriers. D'ailleurs j'avais toujours trouvé ça ridicule de désigner un chat qui ne dormait donc pas la nuit, parce qu'il préviendrait pas plus vite les autres si une attaque survenait. Mais bon. Et vu que notre camp n'est entouré que de hautes herbes, je m'étais faufilé entre les anciens et les herbes qui entouraient leur petit coin. Là, je m'étais directement retrouvé dans la lande. Je l'avoue, j'avais fait de nombreuses fugues et j'étais un peu un habitué. A chaque fois on m'avait fortement réprimandé, mais je n'en avais rien à faire. Peu importe leurs cris. Je veux juste ma liberté.

« Excuse moi, je n'ai pas regardé où j'allais ! Tu n'as pas eu trop mal ? »

L'exclamation réellement préoccupée me tira de mes pensées. Légèrement sonné, je me redressai et me secouai avant que mes yeux ne se posent sur un petit chaton tout noir, peut-être un tout petit plus jeune que moi. J'en avais jamais vu, des noirauds comme ça, et ça m'intrigua tout de suite. Il avait aussi de beaux yeux bleus, et... Une cicatrice vraiment impressionnante sur le côté droit de son cou. Son odeur m'était étrangère. A vrai dire, je l'aimais pas trop. Mais il avait l'air très gentil, pas comme certains de mes camarades de pouponnière qui râlaient tout le temps.

« Non non, ça va. Et toi, t'as pas eu mal ? Tu viens d'où ? C'est quoi cette odeur que tu portes ? Comment tu t'appelles ? Qu'est-ce que tu fais ici ? Toi aussi t'en as marre de la pouponnière ? C'est quoi cette cicatrice ? J'aimerais vraiment avoir la même, c'est super classe ! Et... »

Blablabla. Le pauvre, il allait mourir sous toutes mes questions avant même que j'eus fini de les poser. Il m'intriguait vraiment, tout à coup. J'en oubliai totalement le lieu où nous nous trouvions, et l'heure. Qui était-il ? Peut-être était-il gentil. Je l'espérais, une sorte d'affection inattendue à son égard s'était emparée de moi dès qu'il m'avait parlé.

J'avais tant de questions à poser. Je mourrais d'envie de faire de nouvelles connaissances, de rencontrer d'autres chats. Peut-être ce chaton pourrait-il me présenter à d'autres ? D'autres qui parleraient de moi à d'autres encore ? Et ainsi de suite. Peut-être finirais-je par connaître tous les chats de la forêt, et ce avant mon baptême de guerrier. C'était un si vaste réseau, toutes ces âmes entremêlées. Je venais de lier la mienne au chaton noir. Même si je ne lui parlais plus par la suite, je saurai son nom, son Clan, ses avis de chaton. Je saurai beaucoup de choses sur lui. Et lui de moi. Était-ce peu prudent d'échanger ainsi nos pensées de bébés ? Peu importe ce que nous délivrions, nombre de paroles seraient oubliées d'ici à notre vieillesse. Des secrets perdus. Des craintes et des joies disparues, effacées. Notre monde partirait simplement dans une autre dimension. Je ne serai pas triste, non, j'aurai un autre monde. Un monde moins libre, un monde plus dicté. Un monde sans féérie et sans légèreté pour l'orner.

L'autre se remettait encore du choc, et sous le flot de mes questions, il écarquilla les yeux. Quant aux miens, ils louchaient vers sa cicatrice. J'étais jaloux. Qu'est-ce que ça serait cool de me balader dans le camp avec une marque pareille ! Les guerriers m'admireraient, les autres chatons viendraient tout le temps me parler, et m'accompagneraient dans mes aventures. J'avais conscience d'en vivre une, là, d'aventure. Une jolie même. Peut-être allai-je devenir très proche de ce félin au pelage sombre. Il m'inspirait vraiment confiance. En même temps, aucun chaton exprimait le contraire.

« Salut ! Je suis Patte de Grêle, je viens du clan des Éclairs ! Je me promène tout seul parce que là bas, ils ne m'aiment pas trop. La cicatrice, ça leur fait peur... Et toi ? Tu es qui ? »

Patte de Grêle. Je ne voyais pas trop pourquoi sa maman l'avait appelé comme ça. Il ressemblait pas à de la grêle. Moi, je ressemblais à un cerf. D'après Maman. Un beau cerf fier et brave. La grêle, ça a un truc de spécial ? Ça... fait mal quand on la reçoit ? Peut-être Patte de Grêle maîtrisait-il une technique particulière qui consistait à choir sur ses adversaires... Il fallait qu'il me la montre ! Et puis alors il venait du Clan des Éclairs. Maman m'en avait vaguement parlé, c'était un autre des Clans de la forêt, un ami du nôtre. Ses membres étaient gentils. Ce souvenir confus de conversation m'encouragea pourtant à faire un peu plus confiance à Patte de Grêle. Clan ami, chat ami. Je pense pas que ça puisse marcher autrement.
Là-haut, ils ne l'aimaient pas trop. En fait, le Clan des Éclairs n'était peut-être pas si gentil que ça. Il était méchant de mettre à l'écart un autre chat, et juste à cause d'une cicatrice. Une cicatrice si classe en plus ! Mais alors, Clan ennemi et chat ami, ça marchait ? Ça devait être vraiment horrible. D'être l'ami d'un guerrier dont le Clan était ennemi du nôtre.

« Moi je m'appelle Petit Cerf, du Clan des Herbes ! Tu sais, si ils sont méchants chez toi, tu peux venir chez moi en attendant qu'ils changent d'avis. »

Un grand sourire se peignit sur mon visage. Je fis un pas en avant, pour lui montrer ma sympathie.

« Pourquoi Patte de Grêle ? C'est un truc spécial ? Tu me montres s'il te plaît ?! »

UC.

« Paroles Grip'. »

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« Paroles. »

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