Il était tôt. Si tôt. Tellement tôt qu'on voyait à peine le haut du soleil, là bas, loin à l'horizon. Le ciel sombre de la nuit précédente commençait à être joliment rosé par l'aube. C'était une matinée ordinaire. L'astre du jour se levait et venait imposer son règne tandis que la lune, symbole de la nuit et du monde nocturne, se couchait et laissait sa place. Comme tout les jours. Ce même schéma, inlassablement, encore, encore et toujours, depuis la nuit des temps. Hier cela s'était passé ainsi. Demain ce serait identique. Oh, évidemment, il y avait bien quelques petites différences : la présence de nuages, la pluie, le tonnerre, la neige. Tout ces caprices météorologiques avaient un rôle dans l'aspect de la transition entre jour et nuit. Mais au fond, le mécanisme interne était le même, ce n'était que notre vision externe de l’événement qui évoluait avec ces critères. Bref, un jour nouveau venait de débuter et rien ne laissait présager qu'il serait plus violent ou plus calme que la veille. Qui aurait pu savoir ? L'ignorance du destin et du futur est un fardeau que les vivants doivent porter sur leurs épaules fragiles. Chaque acte, chaque actions, chaque mot a des conséquences plus ou moins directes. Et nul ne peut connaître à l'avance la répercussion de ce qu'il va faire. C'est la beauté et la fatalité de l'existence.


Mon pelage gris foncé était humide, à cause de la rosée fraîche des plantes vertes. J'étais au milieu des grandes herbes, couché, aplati contre le sol dur, la peau si fragile de mon ventre frottant contre la terre. J'étais aux aguets. J'attendais, patientais. La première question que l'on pourrait se poser en me voyant ainsi c'est : Griffe de Pluie, qu'est ce que tu fiches là ? Tout le monde dort à cette heure ci. Le camp s'éveille à peine, les patrouilles de nuit sont finies. Pourquoi n'es tu pas près des tiens, à veiller sur eux ? Ne me blâmez pas, chers enfants. Effectivement, je m'étais réveillé très tôt. Avant même que le jour n'est pointé le bout de son nez et que la patrouille de nuit ne soit revenue. Avant que les étoiles ne disparaissent du ciel et avant que l'on puisse voir le bleu des cieux. Impossible de dormir, de se détendre. Je ne tenais pas en place. Chasser m'avait paru être une bonne idée pour m'occuper. Alors, j'étais parti. Les grésillements de la fin de nuit m'avaient accompagnés, bercés, guidés, pendant que je cherchai une proie potentielle. C'est là qu'un son, feutré, lointain, avait attiré mon attention. Un bruit de course. Rapide, régulier, sur le même tempo. Étrange. Face à ce son intriguant, je m'étais couché et mon regard avait parcouru chaque endroit présent devant moi, à la recherche de ce qui était anormal. Et je l'avais vu. Une forme blanche. Qui courrait. Rapidement, sans pause. Quelqu'un qui galope à cette vitesse ne veut pas se faire repérer. Et quelqu'un qui ne veut pas se faire repérer n'est jamais une très bonne chose. Je devais agir.


Je me levai et me mit à courir vers l'intrus. Ou l'intruse. Je l'ignorai encore. J'avais pour habitude d'être pacifiste, de laisser une chance de s'expliquer aux gens. Mais pas quand il s'agit de déplacements aussi rapides. En ces temps troubles, cela m'inquiétait plus qu'autre chose. Je m'approchai. Je ne pouvais plus reculer. L'odeur du clan des Océans emplit mes narines. Mon cœur se mit à battre plus fort, à taper dans ma poitrine. L'excitation, l'angoisse, la surprise, le questionnement. Toutes ces émotions se mêlaient dans mon esprit. Tout allait si vite autour de moi. Le vide se fit quand je bondis sur l'inconnue. Mes pattes s'écrasèrent sur l'épaule gauche du félin, qui bascula. Par instinct, je rentrais la tête, juste à temps. Je m'écrasais et roulais contre le sol. L'impact avait été rude. Pas le temps de penser. Je me relevais et me mit en position de défense. C'est à ce moment là, je crois, que j'ai commencé à comprendre et à m'inquiéter : quand j'ai croisé le regard bleu profond et électrique de celle que je venais d'arrêter.
Étoile du Présage.


Ici ? Pourquoi ? Sans personne pour l'accompagner ? J'étais surpris mais je n'avais pas le temps de réfléchir à mes interrogations, ni d'analyser chaque possibilité qui s'offrait à moi. Dans cette situation, la réflexion ne me mènerait nul part. Seule l'action me sauverait.


« Que fais tu ici ? » feulai-je, en fixant la meneuse, tout en restant sur mes gardes.


Oui, il existe bien une fatalité coriace, qui s'attaque à chacun, dans le monde des vivants : personne ne peut savoir si le destin le guide vers un chemin des plus banals, qui apporte joie et bonheur, ou vers une route raide, parsemée d’embûches.  

J’avais fait de nombreux cauchemars cette nuit. Des corbeaux, de la poussière, du sang. Beaucoup de sang, et beaucoup d’impuissants. J’étais sortie pris l’air, pour balayer mes craintes. Mais… Un mauvais pressentiment, ce matin-là. Bien trop vite confirmé par une femelle chère à mon cœur. Étoile du Présage, déboulant dans le camp à peine réveillé, les flancs agités de soubresauts révélant une course effrénée. Un visage crispé, une voix pressée qui ne trompe pas. Non, mon amie des Océans ne venait pas annoncer une bonne nouvelle, c’était certain. Ses paroles suffirent à me réveiller, à me sortir de ma torpeur nocturne. « Fun' mon amie, prépare tes troupes. Demain à l'aube nous partons. » Tant de fois j’avais redouté ces mots. Tant de fois j’avais voulu les repousser. Tant de fois j’avais prié pour qu’ils n’arrivent jamais. Oh non, pas pour ma propre sécurité. Ni parce que je veux éviter les difficultés et tourner le dos à mes responsabilités. Non. Tout simplement parce que j’ai peur que certains soient blessés. J’ai peur de les avoir condamnés. Il y aura de nombreux blessés. Et la mort planera durant ces quelques heures, plongeant sur ses victimes, les achevant les unes après les autres dans d’atroces souffrances. Personne n’évitera la douleur, personne ne sera épargné. Moi-même, je ne peux l’espérer. Mais la route est désormais tracée, et cette guerre s’impose sur le chemin. Nul n’a le pouvoir d’influencer le destin, de modifier un avenir certain. Il est temps. Il faut se battre, désormais. Les meilleurs sortiront vainqueurs, les autres mourront. Oui, nous gagnerons.

Le cœur serré d’incertitudes, je relevais la tête vers mon amie. Un sourire triste, mais déterminé étira les coins de ma bouche. Je plongeais mes yeux ambrés dans ses prunelles d’océan, contemplait avec passion ses traits fins et assurés. Je me serrais contre elle, savourant son parfum envoûtant, appréciant la douceur de ses poils humides de rosée. Comme si c’était la dernière fois. Mais la mort était incapable de nous séparer, pour le moment. Nous avions de nombreuses vies, et toutes ne s’écouleraient pas en une seule bataille. Et pourtant… C’était comme un adieu, car cette guerre allait nous changer. La perte d’être chers allait nous bouleverser. Je ne voulais pas y penser. Résignée comme jamais, je déclarais d’une voix dure : « Malgré les difficultés que nous avons connu ces-derniers jours, le Clan des Marais sera là pour défendre son honneur. Nous écraserons ces faibles, nous les soumettrons tous jusqu’au dernier. » Un rictus froid sur le visage, je luttais contre moi-même. Contre ma peur dévorante, contre mes doutes à propos de la situation de mon Clan. L’unité des miens était en doute depuis quelques temps. Mais nous n’avions plus le temps de réfléchir, de parlementer. Le compte à rebours était lancé. Seules deux issues se présentaient. Dominer, ou être dominé. « Jamais tu ne regretteras de t’être alliée au Clan des Marais. Jamais. »
Une promesse, sonnant comme un présage de mort.  

Pas terrible, désolée.

Étoile Éphémère écouta avec attention chacun de mes mots. L'expression de son visage rassura mon esprit troublé par les événements. Elle ne semblait pas choquée par ce que je voulais entreprendre pour contrer nos ennemis. Maintenant que je repensais à mon arrivée dans sa tanière, elle n'avait pas paru surprise de me voir débarquer. C'était presque comme si elle m'attendait. Comme si elle savait avant que je ne parle. Pourtant, personne n'avait pu la prévenir. J'avais été le seul à être confronté à la meneuse des Océans. C'était à moi qu'elle s'était adressé, moi qu'elle avait défié. Sûrement que la chatte rousse avait eu un pré sentiment. Ce ne serait pas si étonnant. Nous vivions en clan après tout, il était évident que la guerre devrait faire un jour son apparition dans notre quotidien. Sinon nous vivrions tous ensemble, en formant une même et grande famille. Être séparés ainsi ne pouvait que alimenter sans cesse les conflits, les irritations et toutes ces choses qui menaient au désaccord et ensuite au conflit.

 « Tu as raison. Préparons nos troupes. Nous n'avons pas de temps à perdre. Je cours prévenir le Clan des Herbes. Te sens-tu capable de préparer nos troupes ? Tu as toute ma confiance. » 

Je l'observais avec une grande attention. L'incertitude de mon avenir brillait dans mes yeux bleus. Où allions nous bon sang ? Quelle direction stupide et sanglante nous avait fait prendre le clan des Étoiles ? Les morts, le sang, les blessés, les adieux déchirants. Tout cela allait nous envahir d'ici peu. Mais c'était le mieux à faire. Je le savais au plus profond de moi. Il n'y avait pas de bonne décision à prendre. Rien ne pourrait empêcher le fléau de la guerre de nous atteindre. C'était une certitude. Maintenant, il fallait faire avec. Et face à ça, nous devions nous préparer. Chercher nos alliés. Ma chef voulait y aller elle même. Sur ce coup, mon avis différait avec le sien. C'était si bête de ne pas être d'accord sur cette petite chose qui n'avait pas grande importance.

« Je pense que tu fais erreur. Imagine qu’Étoile du Présage ai posté quelques guerriers près du clan des Herbes pour t'arrêter ? Le clan des Nuages va sûrement perdre plusieurs de ses membres et si il perd sa meneuse avant même de commencer le combat, ce sera le chaos. »

Mes paroles semblaient peut être sortir de l'esprit d'un être paranoïaque mais c'était ce que je pensais réellement. Mon cerveau s’était mis en mode conflit et n'importe qui sait que pour gagner une bataille, il faut éliminer celui qui mène la danse. Si vous enlevez cette personne de l'équation, les soldats sont perdus et tout est dans la poche. La meneuse des Océans connaissait cette technique et je l'imaginais très bien l'appliquer sans scrupules.

Je m'approchais d’Étoile Éphémère et effleurai ma joue contre la sienne.

« Je vais y aller. Ne t'en fais pas pour moi »

Sur ces mots, je quittai la tanière, sans lui laisser le temps de me retenir. Je courrais à toute vitesse jusqu'au camp des Herbes. Sans reprendre mon souffle. Sans penser. Sans m'arrêter. Chaque seconde m'était compté. J'avais la sale impression d'être dans un mauvais rêve, tout en sachant bien que je ne pouvais pas me réveiller. Les hautes herbes finirent par se finir et j'arrivais au camp. Lentement, en essayant de paraître détendu, j'entrais. Les yeux curieux se posèrent sur moi. J'eus un coup de chance car Étoile du Requiem était près de l'entrée. En faisait profil bas, pour bien montrer que je n'étais pas un ennemi, je m'approchais d'elle. J'inclinais la tête face à elle et me mis à parler immédiatement.

« Je suis désolée de débarquer comme ça mais c'est important. Étoile du Présage nous déclare la guerre »

La guerre, je pouvais la sentir venir au plus profond de moi. Je pouvais ressentir tout ce noir qui émanait d’elle. Je savais qu’elle était là. La note sur laquelle avait fini l’assemblée m’avait paru désastreuse, c’est peut être à cause de cette assemblée même qu’on en est là. Je tousse. Très fort. Une quinte me prend dans ma tanière. Le stress m’a fait ça. A cause de ça, j’en suis malade. Je ne sais pas ce que j’ai. Notre guérisseuse fait de son mieux pour me soigner, mais elle n’y arrive pas. Je suis condamnée. Cette guerre m’aura tout pris. Décidée de prendre un peu l’air, je me tire difficilement hors de ma tanière, je m’appuis contre celle-ci pour me tenir debout, les yeux semi-clos. L’agitation se fit et le calme qui s’était installé s’était dissipé. Quelqu’un était arrivé. Etait-ce la mort qui venait abréger mes souffrances ? J’en ai assez de me battre pour un monde qui ne changera jamais. Arrivé en face de moi, le chat inconnu semble reprendre son souffle. En tentant d’ouvrir plus les yeux, je découvre Griffe de Pluie. Pour ma plus grande surprise d’ailleurs. Il se mit a parler très vite et mon cerveau mit du temps à assimiler.

« Je suis désolée de débarquer comme ça mais c'est important. Étoile du Présage nous déclare la guerre »

Je l’avais senti, et prédis aussi. Ce qui explique ma situation. Une autre quinte de toux, je penche la tête vers le sol pour ne pas viser le guerrier, mais cette fois ci, des taches rouges apparaissent. Mon sang. Je suis perdue. Je n’aurais même pas la force de m’y rendre. Je suis faible. Je n’aurais pas réussi à apporter la paix à mon clan. Mes yeux vitreux rencontrent ceux assurés du Lieutenant. Je lui réponds donc d’une voix faible en toute franchise.

«  Il fallait s’y attendre. Tu auras tout le soutien des troupes du clan des Herbes. Je suis fière de les confier à Etoile Ephémère. Parce que comme tu le vois, je suis loin d’être en état pour me battre. Je ne sais même pas si… Peux-tu appeler Chant des Blizzards ?»

Je ne sais même pas si je pourrais connaitre l’issu du combat. Si ça se trouve, je me serais éteinte avant.  Après avoir un peu attendu, mon lieutenant arriva comme je l’avais demandé. J’avais l’impression d’être à la place d’Etoile du Dragon. Peut être que c’était mieux ainsi. Je regardais mon lieutenant, et lui fis un sourire comme je le pus, mais mes forces étaient de plus en plus faibles, et bientôt inexistante.

« Je suis heureuse de t’avoir eu pour lieutenant, et je crois bien qu’il est enfin temps pour toi de prendre la place qui te revenait de droit. Je sais que tu arriveras très bien à tout gérer tout seul. J’ai été vraiment ravie d’avoir pu toujours compter sur toi pour m’épauler. Mais les temps sont graves, réunissez vous au plus vite. Nous ne devons pas laisser Etoile du Présage la gagner ou alors… »

Je toussais grassement, mes pattes allaient céder sous mon poids, alors, je m’allongeais et posais ma tête sur mes pattes. J’avais honte que l’on me voit ainsi. Je soufflais aux deux lieutenants.

« Vous êtes l’avenir, faites en sorte qu’il soit meilleur. Griffe de Pluie, épaule bien Etoile Ephémère, je crois qu’elle en aura besoin, lorsque je serais partie. Chant des Blizzard, dis à Quintessence du Rêve que je l’aimerais toujours et que je l’attendrais. Et lorsque tu seras chef, dis leur que je veille sur le clan du haut du ciel. Je vous soutiendrais pendant la bataille. »

Je pris une grande inspiration, mais mes poumons s’emblaient vouloir rejeter cet air. Mes yeux se fermèrent petit à petit, et lorsque j’expirais une nouvelle fois, ce fut le noir complet. Le silence, j’étais partie. « J’arrive Etoile du Dragon ».

J'avais couru aussi vite que je le pouvais, j'étais essoufflée. Mais ma course en avait valut le meilleur prix : la confiance et l'alliance de ma chère amie Étoile Funèbre. Cette dernière baissa la tête, me fixant du haut du promontoire. « Malgré les difficultés que nous avons connu ces-derniers jours, le Clan des Marais sera là pour défendre son honneur. Nous écraserons ces faibles, nous les soumettrons tous jusqu’au dernier. » J'hochais la tête de haut en bas, comme pour lui assurer à mon tour que j'étais prête pour cette bataille. Certes je l'avais déclenchée à moi toute seule, mais j'en assumais les conséquences et nous ne pourrions pas nous permettre un seul instant de perdre un seul combat. Tout nous serait fatal. En y réfléchissant, nous allions certainement tous y passer si le Clan des Étoiles se retournait à nouveau contre nous, comme il l'avait tant fait autrefois.  Mais ce n'était pas vraiment le moment de réfléchir à ceci. « Jamais tu ne regretteras de t’être alliée au Clan des Marais. Jamais. » Les paroles de mon amie étaient convaincantes. Il ne m'en fallait pas plus pour croire en elle. J'avais tant attendu ce jour-là. Un jour d'action, un jour où enfin la forêt bougerait et où les guerriers s'activeraient. Je pense que ce jour, c'est celui-là. C'était aujourd'hui. L'après-midi touchait à sa fin, je devais accélérer le rythme. « Je te remercie pour ton choix qui est certainement le meilleur. Il faut que j'aille chercher mon camp pour que nous nous réunissions. Je reviens donc dans quelques heures. » Sur ces paroles je saluais ma confidente d'un signe de tête avant de filer à vive allure.

[ Donc maintenant Nam tu dois te rendre au Clan des Nuages avec ton Clan. Je lance le deuxième RP qui sera celui-ci. ]