« Je ne comprenais pas comment on pouvait faire autant de mal à quelqu'un, comment on pouvait le blesser de cette manière. Je ne comprenais pas comment on pouvait exercer un tel acte de cruauté. C'était certainement la pire des choses que de les tuer, la pire des choses que de les achever, la pire des choses que de les voir mourir, dépérir sans ne jamais entendre quelqu'un agir. Dans la nuit, tout serait fini. Tout serait oublié, rien ne se serait jamais passé. Tout serait comme effacé. J'aurais beau persévérer, rien ne pourrait l'en empêcher. C'était comme un crime, avec une sorte de prime. Ils étaient habitués, mais moi je ne voyais pas ça tous les jours. Jamais je ne comprendrais, jamais je ne les encouragerais, jamais je ne trouverais l'intérêt dans tout ce qu'il fait. »

Un peu de chaleur ne faisait pas de mal, surtout lorsqu'on était passé par une saison nouvelle qui n'avait cessé de nous envoyer des rafales de gouttes de pluies. Il faut dire que la saison des feuilles vertes s'annonçait sèche. Heureusement que nous, le Clan des Océans, avions un territoire entier empli d'eau. Tant pis pour les autres avais-je envie de dire. Mais aujourd'hui je devais avouer qu'il faisait bien plus chaud que lors des lunes précédentes. J'étais déjà en plein territoire et je m'étais déjà désaltéré. Je m'étais levée assez tôt, peu après l'aube. Je n'avais pas vu la patrouille de l'aube revenir, donc. À présent je chassais sur le territoire. J'avais attrapé quelques poissons, environ trois. C'était déjà pas mal. Je continuais. J'étais située juste devant la Grotte Embuée. Je continuais de chasser. J'accumulais les poissons. J'arrivais enfin jusqu'à cinq poisson. J'avais bien travaillé, je devais l'avouer. J'étais restée presque toute la matinée à chasser. Derrière moi je sentis une présence. Je paniquais, j'avais peur. Peur de me retourner, peur de découvrir l'étranger.

La voix que j'entendis ensuite me rassura quelque peu. Il faut dire que j'avais eu une belle peur bleue. Je n'avais pas cherché à savoir ce qui s'était trouvé derrière mois, histoire de ne pas me faire encore plus flipper. Mais finalement j'avais été ridicule. J'avais sursauté, même ! « C'est moi, Nuage de Perle. » J'avais été vraiment très stupide de ne pas me retourner, encore moins de ne pas avoir flairé son odeur. Normalement on devait toujours rester vigilent lorsque l'on chassait ou autre chose qui pouvait nous éloigner de toute pensées dangereuses. Il faut dire qu'on était facilement distrait lorsque l'on pratiquait quelque chose dans ce genre. C'était presque évident, non ?

Je m'étais retournée et j'aperçus en effet la jeune apprentie guérisseuse. Apparemment Rose Poétique lui avait laissé du temps libre aujourd'hui, ce qui lui avait d'ailleurs permis de me foutre la frousse. Heureusement que la jeune chatte avait été assez maligne pour prévenir ensuite qu'elle était là, sans quoi je l'aurais immédiatement attaquer sans chercher à comprendre quoi que ce soit. C'était l'instinct animal, non ? Une sorte de réflexe en gros. On avait tous ce genre de réflexe justement. 

L'apprentie parut distraite quelques instants puis elle revint sur terre en quelques sortes. On disait souvent des gens qu'ils sont dans la lune. Je crois juste qu'ils ont trouvé leur rayon de soleil et qu'ils ne veulent plus jamais redescendre. C'est tellement bien de penser, d'imaginer, de rêver. C'est ce qui nous permettait de nous évader. L'imagination était une chose primordiale, sans quoi nous ne ferions rien de notre vie; mais alors là vraiment rien. « Tu as la une belle pêche. » Les paroles de l'apprentis me firent réagir peu après. Il me fallut quelques instants avant de saisir ce qu'elle avait dit. J'esquissa un large sourire à la femelle avant de la regarder s'éloigner un peu et pêcher à son tour. Ce n'était pas son rôle mais si elle aimait ça nous pouvions toujours pêcher ensembles.

Nuage de Perle finit par attraper quelque chose, ramena sa prise devant moi, la déposa et s'assit. « Est-ce que tu veut mon poisson ? » Elle était encore si jeune, si ignorante. J'aimerais tant retourner à l'époque où j'étais aussi naïve.. Ce serait vraiment le paradis. Mais jusqu'à aujourd'hui personne ne savait remonter dans le temps, alors il fallait bien faire avec, non ? Je fixais l'apprentie avant de reprendre mes esprits. « Non merci, il faut faire passer le Clan en priorité tu sais. » lançais-je de bonne humeur. Je ne savais pas vraiment ce que j'avais aujourd'hui, j'étais joyeuse. Il n'y avait pourtant eu aucun événement particulier aujourd'hui. C'était juste moi, tout simplement. « Viens, allons ramener tout ça au Clan. Tu m'aides ? » C'était une question qui n'en était pas une. Il fallait qu'elle m'aide de toute façon.

[Faisons simple je pense. Ce n'est qu'une première rencontre. On fera mieux à la deuxième avec un chien ou autre. (; ]

Je regardais la jeune femelle au pelage clair et blanc comme la neige, complètement immaculé. Ses yeux était d'un bleu ciel-pâle impressionnant. On aurait même dit qu'il étaient fait de cristal. C'était une très jolie apprentie-guérisseuse. Elle deviendrait une très jolie femelle, mais malheureusement elle n'aurait pas le droit à l'amour. C'était une chose assez terrible, je devais le reconnaître. C'était une interdiction un peu formelle et beaucoup trop stricte. Les sentiments ne se contrôlaient pas après tout ! « Oui, j'arrive. » Avait-elle répondu, me sortant de mes lourdes pensées. Je réagis puis pris trois poissons dans la gueule puis regarda l'apprentie prendre les deux autres. Elle se débrouillait bien fallait-il dire. Elle devait certainement avoir l'habitude avec les plantes médicinales. C'était à peu près le même concept lorsqu'il fallait les transporter jusqu'au camp.

Sur la route du retour, l'apprentie était plutôt rêveuse. Je faisais souvent la même chose, je n'allais pas me mentir. Mais là elle était vraiment captivée par quelque chose. Au moins elle ne ralentissait pas, c'était déjà ça. « N'en fait pas tomber les poissons hein ! » lançais-je en rigolant. Elle en serait capable, transportée dans un autre monde comme elle l'était. Je crois bien l'avoir faite réagir.

Je regardais ensuite la jeune apprentie. Elle était complètement sortie de ses pensées profondes. Elle me regarda, puis hocha la tête comme pour démontrer qu'elle était belle et bien présente, qu'elle était de retour parmi nous, et qu'elle n'était plus perdue ainsi sur un autre monde. C'était bien de rêver, je la comprenais parfaitement, mais il ne fallait pas trop non plus en abuser. Ça faisait mal de rêver. Bien trop mal. J'en étais la preuve vivante pour tout vous dire. J'avais autrefois été perdue entre rêves et réalités, entre présent et passé. C'était compliqué. Et je crois d'ailleurs que c'est encore le cas aujourd'hui.

C'était difficile d'oublier, bien plus que tout ce que vous pouvez imaginer. C'était infaisable. C'était tellement incroyable lorsque l'on y parvenait. Mais pour l'instant on rame, on est comme mis sur pause, comme bloqué. Comme qui quelqu'un nous retenait, comme si il nous disait « Non, n'oublie pas. Ne tourne pas la page et souffre encore. » Parce que ne pas arriver à oublier, c'est se tuer, c'est s'auto-mutiler. C'était comme si on savait qu'on allait tomber, comme si on s'attendait à sombrer.

Une fois arrivée au camp elle me regarda. « On dépose les poissons sur la pile. » J'hochai la tête pour lui montrer que oui. « Est-ce que je pourrais en prendre un ? » C'était toutefois une question évidente. Elle avait bien travaillé et comme tout apprenti qui avait bossé durement, il devait être récompensé. « Bien sûr, sers-toi et apporte-en aussi un à Rose Poétique, elle doit avoir faim. Tu as bien travaillé. » lançais-je avec un large sourire sur le visage.