Un jour de plus. Semblable à tous les autres. Toutes mes journées se ressemblent désormais. J’ai appris à ne plus les compter, à ne plus les regretter. Je n’ai plus de temps pour moi. Je ne peux plus quitter le camp comme ça, pour me promener, pour flâner une journée entière. Désormais, chaque heure compte. Chaque minute même. Elles doivent toutes être consacrées au Clan, à son bien-être, à ce que la paix règne, à ce que chacun manger à sa faim. J’ai perdu ma routine tranquille. Mes balades nocturnes ne sont plus qu’un lointain souvenir, car pour être en forme la journée je suis contrainte de dormir. J’ai l’impression de ne plus avoir aucun choix, alors que c’est moi qui décide chaque action dans le camp. J’ai gagné le pouvoir, certes. Mais j’ai perdu ma liberté. Est-ce vraiment un marché équitable ? Je n’en suis pas certaine…  
Mes crocs se refermèrent avec violence sur le cou d’un petit campagnol. Je pris plaisir à entendre les os se briser, à sentir le rongeur succomber sous ma force. Je pris ensuite ma proie entre mes mâchoires, afin de la cacher avec les autres prises de la journée. Sur les Terres Libres, autant se méfier. N’importe qui pouvait passer. Le soleil était à son zénith, et commençait à redescendre vers l’horizon. J’étais heureuse de retrouver les sensations de la chasse, de me sentir à nouveau libre. J’avais décidé de m’éloigner des territoires du Clan des Marais, ceux-ci m’oppressaient. Les Terres Libres m’avaient semblé un endroit parfait. Ses étendues de prairies immenses étaient parfaites pour la chasse, et surtout, le calme régnait. Loin de l’agitation du camp, je me sentais mieux. Était-ce vraiment ce que je désirais, ce rôle de chef ? Cette vie était-elle faite pour moi ? Oui. J’en étais certaine. Mais il fallait que je m’y adapte, c’est tout.
Mes pattes foulaient la terre meuble lorsqu’un bruit résonna. Quelque chose arrivait. En courant. Ce moment d’inattention suffit à la souris que je poursuivais pour s’échapper. Je maudis l’inconnu si fort qu’il aurait pu rejoindre le Clan des Étoiles une dizaine de fois, tout en allant à sa rencontre.

J’aperçus enfin le chat responsable de la fuite de ma souris. De loin, il était plutôt grand et musclé, mais tout en restant mince et agile. Il avait un joli pelage rayé, et lorsque nous fûmes rassemblés, je pus admirer ses grands yeux bleu pâle. C’était un beau guerrier, il fallait le reconnaître, malgré qu’il soit plus âgé que moi. Son odeur était celle du Clan des Herbes, et son visage me parut familier. Après avoir longuement fouillé dans les dédales de ma mémoire, son identité me revint. C’était Chant des Blizzards, récemment promu au poste de lieutenant alors qu’on m’avait dit qu’il le méritait depuis bien longtemps. Le combattant des Herbes avait l’air de m’avoir reconnu au premier coup d’œil, et malgré son visage fermé, sa voix était enjouée et cordiale : « Salutations Etoile Funèbre ! » Il marqua une courte pause. Peut-être s’attendait-il à ce que je le salue à mon tour ? Je n’en fis rien, et restait silencieuse, l’écoutant. Mon visage ne laissait paraitre aucune émotion, aucun sentiment. J’étais comme une statue de pierre, immobile. Mais j’entendais. J’écoutais. Je retenais. Chant des Blizzards ne tarda pas à poursuivre : « Comment se porte ton Clan ? » Je me méfiais de ce genre de questions, qui paraissaient venir naturellement, gentiment, mais qui pouvaient avoir un sens caché, et d’autres intérêts que se renseigner simplement. Un échange de banalités pouvait servir, se retourner contre celui qui en dirait trop. Je ne voulais pas prendre ce risque, mais quel risque y avait-il à dire que le Clan se portait à merveille ? Ce n’était que la vérité. Chant des Blizzards s’était assis et commençait à faire sa toilette. Il léchait sa patte, tout en m’observant du coin de l’œil. Il attendait sûrement ma réponse, mais je devinais qu’il n’avait pas terminé avec ses questions, plus ou moins embarrassantes.
« Tu supportes bien ton nouveau rôle de chef ? » demanda-t-il, l’air intéressé. Cette question me surpris un peu, car elle ne concernait que moi. C’était direct. Lui aussi était nouveau à un poste important, peut-être qu’il avait des difficultés ? Peut-être voulait-il se rassurer en trouvant d’autres personnes qui avaient du mal avec ces responsabilités nouvelles ? Ou tout simplement, ses questions pouvaient être dénuées d’arrière-pensées. Le mâle du Clan des Herbes s’intéressait simplement à moi, voulait mieux me connaître ? Ma méfiance était infondée. Chant des Blizzards n’avait pas l’air désagréable ou hypocrite. Il me suffisait de lui répondre sans être trop précise, mais en restant sincère.
Je hochais la tête, me raclais discrètement la gorge. Je n’avais rien dit pour le moment. « Bonjour, Chant des Blizzards. Le Clan des Marais va très bien, merci. Nous nous sommes remis sans problème de la perte de nos deux anciens chefs. La formation de nouveaux apprentis a commencé. Et pour mon rôle de chef, je m’y adapte. C’est un changement violent, mais je suis fière d’être devenue meneuse et je fais du mieux que je peux. Je pense me débrouiller. » déclarais-je d’une traite. J’essayais de rester modeste, mais c’était pratiquement impossible pour moi. J’aimais me vanter de mes exploits, et ce poste de chef ne faisait qu’augmenter mon envie. Je me sentais puissante, importante. J’avais l’impression d’être une des meilleures. Partout où j’allais, à chaque rencontre que je faisais, on connaissait désormais mon nom. Alors qu’avant… Qui était Danse Funèbre ? D’où sortait-elle ? La gloire était enfin venue. Je n’avais pas eu à attendre très longtemps…
« Et dans le Clan des Herbes, tout va bien ? La perte d’Étoile du Dragon n’a pas été trop dure à supporter ? C’était un excellent meneur. J’espère pour le Clan des Herbes qu’Étoile du Requiem sera à la hauteur. » demandais-je à mon tour. Sûre que je ne risquais rien, je m’assis en face de lui. Toute méfiance n’était pas envolée, mais je savais que Chant des Blizzards ne m’attaquerait pas. Sa présence était même rassurante. Il était grand, fort, mais avait aussi l’air doux et protecteur. Sa désinvolture mettait à l’aise. Mais qu’il ne croit pas que j’ai l’intention de sympathiser avec lui. Je restais cordiale, je répondais, mais je ne cherchais pas un ami du Clan des Herbes. C’était sûrement réciproque. Qui voudrait bien être ami avec moi ?  

Cela intéressait vraiment le lieutenant. Et ne vous y méprenez pas. Ce n’était pas histoire de savoir si le clan des Marais avait une meneuse qui tient pas debout pour pouvoir attaquer ou mettre sur pied un plan aussi fourbe que malhonnête. Mais non. Il voulait savoir comment allait la jeune meneuse. Il se doutait que cela devait être perturbant de devenir meneur si jeune, pour avoir la sienne en plein milieu de milliers de questions. Etoile Funèbre devait se questionner aussi sur son rôle dans le clan. Du moins, peut-être.
Devant lui, la chatte semblait étonnée de cette question. À vrai dire, et ce n’était que maintenant qu’il y pensait, Chant des Blizzards n’était pas lieutenant depuis une éternité. Ce n’est que quand Etoile du Dragon vint au pouvoir qu’il le nomma comme étant son second. Cela devait faire 3 lunes tout au plus (j’ai raison ou pas ? xD). Il était lui aussi assez nouveau dans ses fonctions. Et lui aussi, au tout début du début de ses responsabilités, était un peu perdu. Heureusement pour lui, tout lui était venu comme instinctivement. Etoile Funèbre répondit enfin :
Bonjour, Chant des Blizzards. Le Clan des Marais va très bien, merci. Nous nous sommes remis sans problème de la perte de nos deux anciens chefs. La formation de nouveaux apprentis a commencé. Et pour mon rôle de chef, je m’y adapte. C’est un changement violent, mais je suis fière d’être devenue meneuse et je fais du mieux que je peux. Je pense me débrouiller.
 
Chant des Blizzards hochait lentement de la tête. Tant mieux. Il n’avait en réalité par grand chose à faire de comment se portait le clan des Marais mais bon. Il était quand même heureux d’apprendre que la jeune cheffe se faisait bien à ce nouveau changement. Et qui sait, peut-être que si les deux félins de deux clans différents s’entendaient bien, peut-être deviendraient-ils amis bien que ce ne soit pas l’intention de Chant des Blizzards. Il n’oublierait cependant pas que c’est avant tout une ennemie qu’il avait devant lui. Même si elle-même commençait à se détendre et à comprendre que le lieutenant ne représentait aucune menace. Un jour, peut-être que les clans des Marais combattrait contre celui des Herbes. Mais le matou gris ne cracherait pas sur l’idée d’avoir un ami.
Et dans le Clan des Herbes, tout va bien ? La perte d’Étoile du Dragon n’a pas été trop dure à supporter ? C’était un excellent meneur. J’espère pour le Clan des Herbes qu’Étoile du Requiem sera à la hauteur.
 
Chant des Blizzards se crispa à la mention du meneur décédé. Ce n’était pas de sa faute ni de celle de Etoile Funèbre, mais la mention de Etoile du Dragon lui rappelait à chaque fois à quel point il était un chef extraordinaire. Une grimace triste naquit sur son visage pour disparaître bien vite quand son regard croisa celui de la meneuse adverse. Chant des Blizzards était très chagriné de la perte si soudaine de son modèle. Le matou ne voulait seulement pas passer pour un faible qui laisse trop d’importance à ses émotions. Il finit par répondre, quand même désolé d’être si émotif. Pourtant, il n’est pas du genre à être cœur en mousse. Mais d’entendre et de devoir prononcer le nom du chef lui faisait mal intérieurement.
-Oui tout va bien. Le clan se remet doucement de la disparition d’Etoile du Dragon, mais au début c’était dur. *pause*  Etoile du Requiem sera à la hauteur, j’en suis sûre. Il a toujours fait de bons choix.
 
Essayait-il de convaincre Etoile Funèbre ou bien lui-même ? Certainement un parfait mélange des deux. Etoile du Requiem ne pouvait pas abandonner son clan et ses compagnons. Chant des Blizzards ferait en sorte qu’elle ne le fasse jamais. Le lieutenant avait délibérément omis de mentionner les doutes personnels de la nouvelle meneuse. Bien que cette discussion ne semble pas avoir d’arrière-pensées, il ne fallait pas prendre de risque en dévoilant les faiblesses momentanées du clan. Il continua en levant son regard fatigué vers le ciel :
-Décidemment, le clan des Etoiles n’en fait qu’à sa tête ces temps-ci. *pause et il la regarde* De nombreux chats sont retournés chez nos ancêtres ces derniers temps. Mais bon, ainsi va la vie. *soupir*

Chant des Blizzards avait écouté mes explications sur le Clan des Marais sans broncher, le visage impassible, hochant la tête comme un robot. Il n’était pas hyper concentré, plutôt passif. Je voyais bien qu’il n’était pas en train de retenir chaque information pouvant être utile, pour aller tout répéter à Étoile du Requiem. Il m’écouta tout de même respectueusement, et attendit que j’eus terminé avant de parler à son tour. Mais lorsque j’évoquais Étoile du Dragon, son meneur défunt, je me rendis compte que j’avais touché un point sensible. Chant des Blizzards ne fit rien pour cacher ses émotions, et son visage devint triste et mélancolique. Ses yeux paraissaient retenir leurs larmes. Il s’était crispé, ses griffes plantées dans le sol. Il essaya de masquer son trouble, de reprendre contenance, mais je vis bien que je l’avais déstabilisé. « Oui tout va bien. Le Clan se remet doucement de la disparition d’Etoile du Dragon, mais au début c’était dur. » commença-t-il, avant de marquer une pause. Il avait menti, ne voulant pas avouer ses faiblesses. Tout n’allait pas bien, même un aveugle s’en apercevrait. Je savais ce que cela faisait de perdre un chef, en particulier quand ce meneur t’as nommé lieutenant, quand il a placé sa confiance en toi. Je connaissais la douleur qu’apportait la perte d’un être cher. Avant que mes pensées ne s’évadent vers mon frère décédé et que les larmes me montent aux yeux à moi aussi, Chant des Blizzards poursuivit : « Etoile du Requiem sera à la hauteur, j’en suis sûr. Elle a toujours fait de bons choix. » Il ne semblait pas totalement persuadé, mais faisait tout pour en donner l’impression. Je ne comprenais pas vraiment comment Chant des Blizzards avait fait pour ne pas devenir le chef du Clan des Herbes, alors qu’il était lieutenant d’Étoile du Dragon au moment de sa mort. D’où venait Étoile du Requiem, pourquoi était-elle meneuse désormais, alors que la place revenait au guerrier assis droitement en face de moi ? Je n’étais pas au courant de ce qu’il se passait dans les Clan des Herbes, et n’osait pas demander. J’avais succédé à Étoile Encrée car elle m’avait nommée lieutenante, tout comme Étoile de la Salamandre l’avait choisi avant moi. J’avais surtout du mal à comprendre comment Chant des Blizzards faisait pour ne pas être jaloux de la jeune meneuse des Herbes, comment il pouvait lui obéir, la respecter et la défendre ainsi. Le grand guerrier leva la tête vers le ciel et se remit à parler : « Décidément, le Clan des Étoiles n’en fait qu’à sa tête ces temps-ci. » Chant des Blizzards me fixait avec attention, attendant peut-être une réaction de ma part. « De nombreux chats sont retournés chez nos ancêtres ces derniers temps. Mais bon, ainsi va la vie. » ajouta le lieutenant dans un soupir. Tous ces meneurs n’étaient pas morts sur décision du Clan des Étoiles, j’en étais sûre et certaine. Pourquoi les chats de la forêt remettaient toujours la faute sur les guerriers passés ? Pourquoi croyaient-ils si fort que nous n’étions pas maîtres de nos vies, mais que d’autres décidaient à notre place ? Le Clan des Étoiles… Je savais qu’il existait, mais ne croyait pas à tout ce pouvoir qu’on lui attribuait.
« Le Clan des Étoiles n’y est pour rien. Ne sois pas aveugle, Chant des Blizzards. N’aie pas confiance en le Clan des Étoiles. » soufflais-je, une expression révoltée sur le visage. Je n’arrivais pas à cerner le Clan des Étoiles, à le décrire vraiment. Pour moi, c’était quelque chose dont il fallait se méfier, une sorte de force dangereuse et maléfique. Elle faisait régner sa loi, elle faisait croître la terreur et la soumission, sans posséder réellement de puissance concrète. Qui avait déjà vu le Clan des Étoiles tuer ? Ce n’était que des légendes, des croyances. Mais comment pouvait-il créer de nouvelles vies pour les chefs, alors qu’il n’était constitué que de morts ? J’étais perdue. Mais je voulais me convaincre, je voulais aussi convaincre Chant des Blizzards. Le prévenir. Une lueur étrange dans le regard, la voix faible mais déterminée, je dis au lieutenant : « Le Clan des Étoiles est capable de donner des vies aux meneurs, mais il ne peut les retirer. Seuls les vivants peuvent tuer. Les morts sont impuissants. » Je me surpris à parler de ce genre de choses au chat des Herbes, alors que je le connaissais si peu. Alors que nous nous étions rencontré pour la première fois quelques minutes plus tôt…

Le visage du lieutenant des Herbes s’était assombri. Il paraissait contrarié par mes paroles, voire révolté. Nous ne partagions pas le même point de vue sur le Clan des Étoiles, c’était certain. Qu’est-ce que j’avais cru ? Me trouver un allié dans le Clan des Herbes, de plus, le lieutenant ? Chant des Blizzards croyait au Clan des Étoiles dur comme fer. Le mâle avait un cœur d’or, pas un esprit perverti comme le mien. Il était là pour soutenir sa meneuse, sans éprouver de rancune envers elle, il montrait aussi sa foi pour le Clan des Étoiles contre la chef des Marais. Il n’était pas soumis, juste droit et honnête. Chant des Blizzards soupira, puis répondit du tac-au-tac. « Peut-être bien … » commença-t-il, avant de faire une pause. Il n’avait pas l’air de croire en ses paroles. Sur ce point, il n’était pas sincère, mais ne voulait pas me contredire. Il poursuivit, plus déterminé : « Mais je reste persuadé que ce sont les Ancêtres qui font un chat tuer son ennemi… » Nouveau soupir de la part du lieutenant. Je n’étais pas d’accord. Seules la haine ou le plaisir poussaient à tuer. Peut-être, que dans certaines situations, le Clan des Étoiles poussait un guerrier à tuer un autre chat, en venant le visiter dans ses rêves. Mais si l’on partait du point de vue de Chant des Blizzards, lors d’une guerre, tous les chats victimes ont été désignés par nos Ancêtres pour mourir ? Tous les assassins ne sont pas responsables de leurs actes qui avaient été prédit par le Clan des Étoiles ? Nous ne devions plus trouver aucune gloire en remportant une victoire car c’était les guerriers passés qui en avaient décidé ainsi ? Voyant que j’allais répliquer, Chant des Blizzards me sourit et me couvrit d’un regard amical et compréhensif. « Mais bon, c’est un autre débat. » souffla le guerrier des Herbes.
Je hochais la tête. Le nouveau lieutenant voulait clore cette discussion sur le Clan des Étoiles au plus vite. C’était un sujet sensible pour nous deux, et nous étions en désaccord. Cela pourrait mal finir, ou avoir un impact négatif sur la suite de la discussion. « Je respecte ton avis. » miaulais-je doucement. J’aurais aimé donner mes raisons, mes preuves. Dans les Marais, nos deux précédentes meneuses n’avaient pas disparu à cause du Clan des Étoiles, je le savais. Étoile de la Salamandre s’était enfuie, elle avait quitté le Clan sans prévenir. Était-elle morte ? Je l’ignorais. En tout cas, elle était partie, car c’était sa propre décision. Nos Ancêtres n’y étaient pour rien. Et Étoile Encrée ? Elle s’était suicidée, c’était impossible autrement. Personne ne l’avait poussé, elle avait sauté dans le vide d’elle-même. C’était son choix. Elle avait ses raisons. Je ne connaissais pas en détails le sort qu’avait subi Étoile du Dragon. Peut-être que pour lui, tout laissait à croire que le Clan des Étoiles avait impacté sur sa mort. Mon regard revint se fixer sur Chant des Blizzards, balayant mes pensées. Tout ça faisait partie du passé. Nous étions encore vivants. C’était le prochain chef des Herbes, moi j’étais déjà à ce poste. Nous avions la vie devant nous, et le pouvoir dans nos pattes. A quoi bon ressasser le passé ?
« Chant des Blizzards, tu es quelqu’un de bien. Je le sens. Je le vois. » commençais-je. Mes paroles me surprirent. Depuis quand je faisais des compliments ? Je ne connaissais pas Chant des Blizzards, je devais le considérer comme un ennemi potentiel. Mais non, je faisais tout l’inverse. Je lui faisais des louanges. Je me hâtais de poursuivre : « Mais nos Clans ne seront jamais amis. Même un aveugle s’apercevraient des liens qui existent déjà entre Étoile Éphémère et ta meneuse. »

Chant des Blizzards ne cherchait pas à envenimer la situation, ce qui le surprit lui-même. En général, il ne prêtait pas grande attention à ses manières et politesses qu’il avait devant les chats des clans ennemis. Mais étrangement, quand il parlait à la meneuse du clan des marais, il cherchait à ne pas la vexer ou de créer de mauvaises relations entre eux. peut-être se sentait-il suffisamment en confiance avec la chatte pour ne pas lui chercher des crasses.  Et puis pour une fois que l’imposant matou rencontrai un félin dans cette forêt avec qui il pouvait entretenir une conversation constructive et calme sans s’arracher les moustaches mutuellement avant. Il n’allait pas gâcher cette occasion qui ne se représentera peut-être jamais.   
Je respecte ton avis.
 
Chant des blizzards inclina légèrement de la tête en silence, pour la remercier. Il était soulagé que la meneuse ne cherche pas à continuer de prouver qu'elle avait raison. C'était un sujet délicat pour les deux félins, qui avaient une vision complètement différente l'une de l'autre. De plus, ils resteraient tous les deux campés sur leurs avis, ce qui n'avancerait a rien. Le matou, le visage serein, regardait la cheffe adverse qui, le regard plante dans le vide, semblait songeuse. Chant des blizzards avait eu vent que, aux marais aussi, les meneurs s'étaient succédés à une vitesse affolante, les uns connaissant des sorts tout aussi tragiques que les autres. Le félin tigré ne connaissait pas beaucoup de choses sur ce sujet, mais à en voir le visage déconfit de la femelle, elle avait été tout aussi perturbée de ces disparitions que lui. Soudain, l'attention de Étoile Funèbre se reporta sur le second du clan des Herbes et elle commença :
Chant des Blizzards, tu es quelqu’un de bien. Je le sens. Je le vois.
Chant des blizzards fut tout aussi surpris de ces paroles que le félin qui venait de les dire, voire plus. Ils ne s'étaient rencontrés réellement qu'il n'y a à peine une heure, et elle le complimentait déjà. C'est sur que le matou était un peu pris de cours. Comme pour se reprendre, Étoile Funèbre continua, visiblement un peu gênée :

Mais nos Clans ne seront jamais amis. Même un aveugle s’apercevraient des liens qui existent déjà entre Étoile Éphémère et ta meneuse.
Chant des blizzards sourit légèrement. Elle avait raison. Leurs clans ne seront jamais amis et encore moins alliés. Le lieutenant était très bien place pour le savoir. Habituellement, ne se liant jamais avec les félins des autres clans, même lors des assemblées. À vrai dire, Étoile Funèbre était la toute première chatte à avoir discuté sérieusement aussi longtemps avec le matou, d'un naturel quand même assez asocial.
Il y avait un autre point ou la meneuse avait raison. Étoile du Requiem et Étoile Éphémère. Cela faisait déjà longtemps que Chant des Blizzards avait remarque la relation qu'avaient les deux chattes. Il n'aimait d'ailleurs pas beaucoup cela. C'était mauvais. Et pour son clan et pour celui des Nuages. Pas qu'il ne se préoccupe de la santé des l'autre clan mais ça ne devait pas durer. Pour se voiler la face, il se disait qu'au moins, une guerre n'éclaterait pas de sitôt entre les deux chattes. Le problème est et demeure : si une histoire de vol de gibier ou d'infraction de frontière venait à apparaître entre les deux clans, elles seraient toutes les deux dans le pétrin. Surtout Étoile du Requiem. Étoile Éphémère, le lieutenant s'en fichait pas mal. En gros, il désapprouvait en tout point leur liaison. Chant des Blizzards se promit d'en toucher deux mots auprès de sa meneuse.
Il replongea son regard bleu-vert dans celui de Étoile Funèbre et lâcha, son sourire toujours attaché à son visage :

– Oui, c'est sur. D'ailleurs on ne devrait jamais se faire des amis dans les autres clans.
Chant des Blizzards frémit un peu en pensant de nouveau à l'amitié qu'entretenait sa chère meneuse. Mais il tenta de se reprendre et continua, par pure politesse :

– Le clan des Marais à de la chance des t'avoir à sa tête. *sourire* En tout cas, je suis sûr que tu seras une excellente meneuse.