Le soleil était monté dans le ciel depuis déjà quelques heures. Je m'étais réveillée dès l'aube. J'avais cette drôle d'habitude d'être matinale, d'observer le monde d'une heure tôt. Je ne voulais pas rater un seul moment, je ne voulais d'ailleurs rien rater. Dormir, ce n'était pas ma plus grande préoccupation, je n'en avais pas beaucoup besoin. Je tenais sans somnoler beaucoup de temps. Le repos c'était bien, certes, mais il ne fallait pas en abuser. J'étais donc perchée sur une souche d'arbre en plein milieu du Clan. Je ne voulais pas rester ainsi sans m'activer mais je devais être parfaite alors je continuais à me préparer pour aller me promener. Finalement je n'avais aucune envie de travailler aujourd'hui, au risque de me salir ou de m'épuiser encore sans qu'on me félicite d'avoir bosser le moindre du monde. C'était décidé, j'irais me promener. Où ? Je ne savais pas encore. J'irais en terres libres pour ne croiser personne qui me forcerait à m'activer. J'aimais beaucoup mon Clan, certes, mais je ne voulais pas non plus me tuer à la tâche. De toute façon ma présence ici n'était que temporaire. Non je ne voulais pas continuer à vivre ainsi, enfermée dans un camp, prisonnière et dépendante d'une simple forêt -qui d'ailleurs n'avait pas encore de nom-, soumise aux ordres de supérieurs. Ce n'était pas une vie pour moi. Non, je voulais rejoindre tous les solitaires. Ils avaient tout compris eux. Ils avaient une véritable vie au moins. Ils ne dépendaient de personne, ils étaient complètement libre d'aller où ils le voulaient. De toute façon je n'ai rien à perdre ici. Je n'ai plus de famille, le peu d'amis que j'ai ne tient pas à moi. Je partirais, tôt ou tard mais je m'en irais. Je pourrais enfin connaître la définition de la liberté.

J'étais à présent en plein cœur de la forêt, en terres totalement libres, sans personne pour me dire ce que je devais faire. J'allais donc pouvoir profiter de la vie à plein temps. Ah non. Malheureusement je ne serais pas seule. J'avais sentie l'odeur de deux Clans en même temps. Apparemment cet endroit était fréquenté. Pourtant je ne savais même pas où est-ce que j'étais. J'étais partie sans même regarder où est-ce que mes pattes me menaient. Au moins j'avais le chemin en tête à présent. C'était l'instinct animal qui m'avait poussé à mémoriser la trajectoire. Je me dirigeais vers les deux parfums. Le Clan des Nuages et... le Clan des Éclairs ! Il y avait toujours eu un peu de rivalité entre ces deux et le mien, celui des Marais. J'espérais que cette hostilité ne serait pas toujours d'actualité. Je débarquais donc dans la clairière où ils se trouvaient et aperçus Griffe de Pluie le lieutenant du Clan des Nuages et Odyssée de l'Automne, le guérisseur du Clan des Éclairs. Je ne m'étais donc pas trompée. J'avais émergée de mon buisson, qui avait attiré leur attention à tous les deux. Je voyais qu'ils étaient un peu en train de se quereller. C'était une sorte d'habitude pour les Clans de s'embrouiller entre eux pour un rien étant donné qu'il y avait toujours eu des hostilités entre eux, incitées d'ailleurs par les meneurs de tous les Clans. Ils ne se supportaient pas et ce n'était pas nouveau. Je crois que ce cycle dure depuis des décennies. Si ils osaient s'attaquer à moi ils verraient de quoi je suis capable. C'est vrai que je ne faisais pas bien grande impression ainsi puisque je n'étais pas bien grande mais en tout cas j'avais appris de nombreuses techniques lors de mon entraînement qui ne faisaient pas référence à ma taille, ni à mon poids d'ailleurs. Heureusement encore sinon je me ferais écrasée par tous les autres, qui faisait parfois le double de ma taille.

« Bonjour Odyssée de l'Automne et Griffe de Pluie. Votre présence ici m'étonne. Je ne connaissais pas cet endroit. Que faites-vous ici, si ce n'est pas indiscret ? »

« C'est en cherchant le bonheur qu'on se perd. C'est en chercher l'amour qu'on s'oublie. C'est en cherchant les étoiles qu'on s'éteint. C'est en cherchant le sommet qu'on tombe. C'est en s'accrochant qu'on glisse. C'est en oubliant qu'on y pense. C'est en changeant qu'on reste les mêmes. C'est en observant qu'on se renferme. C'est en imaginant qu'on s'envole. C'est en se précipitant qu'on recommence. C'est en essayant qu'on apprend. Rien ne nous satisfera jamais. On ira toujours plus loin, toujours plus haut. On fera des erreurs pour en trouver les points positifs, les morales et tout le bordel. Tout ça pour dire que c'est en vivant qu'on mourra. »

Je les regardais tous les deux. Il faisaient beau, il faisait chaud. Je ne voyais pas vraiment ce qu'ils pouvaient faire ici par un tel soleil. L'astre réchauffait la planète entière sans jamais se plaindre. Il nous réchauffait le cœur. Un jour il s'éteindra, il nous punira tous pour ne pas l'avoir remercié. La lune quand à elle, elle nous éclaire lorsque nos chemins sont sombres comme la nuit. Un jour elle s'envolera elle aussi, elle nous laissera traîner dans les ténèbres. Elle nous laissera périr sans ne jamais rien dire, sans même intervenir. Remercions-là elle aussi pour son soutient, pour nous avoir tendu la main.

Je dévisageais toujours les deux mâles du même air que lorsque j'étais arrivée, il y a quelques minutes à peines, voir quelques secondes. Je voyais bien qu'ils ne s'entendaient pas très bien. Odyssée de l'Automne était assez gêné. Je le fixais, insistante. Ce fut d'ailleurs le premier à me répondre. Mais il avait fallut que je l'observe ainsi durant pas mal de temps avant qu'il ne se rendre compte que j'attendais une réponse. 

« Clarté de la Lune, si je ne me trompe pas ? Et bien, nous nous sommes croisés par pur hasard, alors on profite de la journée en discutant. »

J'avais horreur qu'on se foute de moi. Comment vous décrire cette haine, ce sentiment qui était plus qu'envahissant. C'était quelque chose que je détestais au plus au point pour tout vous dire. Je regardais le jeune mâle. Un guérisseur était censé représenter la sagesse non ? Pas le mensonge, pas toutes ces conneries dont le Clan des Étoiles avaient tant de fois incités. C'était désolant de voir des gens pareils. Ils mentaient. D'accord, mais pourquoi ? À quoi est-ce que ça allait lui servir de me cacher ça ? Et puis qu'est-ce que ça allait changer à sa vie que je le sache ou pas ? Rien, strictement rien. Parfois je ne comprenais vraiment pas les gens. Et ce n'était pas seulement parce que c'étaient des mâles. Là c'était un cas général, pour tout le monde. De toute façon un jour ou l'autre on découvre la vérité. Tôt ou tard tout est dévoilé. 

« Bien sûr. Dans ce cas j'vais me joindre à vous. J'ai horreur qu'on se foute de moi. »

Je regardais le jeune mâle. Je ne savais pas si il se foutaient de moi ou pas mais je n'avais plus confiance en personne de toute façon, alors qu'importe. J'étais méfiante, mais surtout consciente et réaliste. Les gens trop gentils ça n'existaient pas, c'étaient simplement des hypocrites, rien de plus rien de moins. Il ne fallait pas trop en attendre des gens de toute manière, vu comme on était aidés ! Je préférais ne rien dire et faire comme si il ne s'était rien passé. Au fond j'avais peut-être tort, peut-être qu'ils étaient réellement amis. Même si au fond je trouvais cela étrange pour des chats qui ne sont pas du même Clan. Des mâles en plus, eux qui étaient bien connus pour se chipoter pour rien.

Je regardais les deux mâles, les dévisageant un à un. Il faut dire qu'ils n'avaient rien de particulier si ce n'était leurs rangs. L'un était lieutenant, l'autre guérisseurs, et ils n'étaient pas du même Clan. L'un était sombre de pelage, l'autre plutôt clair. Il fallait des bien des différences dans ce monde si l'on voulait des variétés et des choix à faire, non ?

« Bonjour Clarté de la Lune. Je ne vois aucun problème à ce que tu te joigne à nous. Je posais des questions sur les plantes à Odyssée de l'Automne. Qu'est ce qui t'amène dans le coin ? »

Quelle question. Je n'en savais même plus les raisons à cause de tout cela. Ils parlaient de plantes entre eux ? Décidément c'étaient des personnes fortes inintéressantes. Je dirais même qu'elles étaient franchement ennuyeuse. Je ne pouvais pas supporter le travail des guérisseur. Neutre, soumis et sans action surtout. C'est à ce moment là que je me rendis compte du travail d'Odyssée de l'Automne. Le pauvre mâle restait enfermé à longueur de journée, quand ce n'était pas pour chercher des plantes dehors tel un esclave, pas étonnant qu'il avait envie de prendre l'air. Et encore.. j'étais pratiquement certaine qu'il était ici pour récolter encore des machins médicinaux. Décidément la vie de guérisseur n'était pas terrible. Et puis avoir contact avec nos ancêtres c'est bien, mais quand ils répondent c'est mieux non ? On avait jamais entendu parler d'eux presque, tellement ils paraissaient inexistants. Tout le monde doutait de leur présence, moi la première.

« Et bien certainement la même chose que vous : le hasard. » lançais-je d'un ton provocateur.

Oui j'avais un sale caractère et cette sorte de tendance à provoquer les gens et à toujours chercher les embrouilles. Mais j'étais comme ça après tout et rien n'y personne ne pouvait changer quoi que ce soit chez moi, pas même le Clan des Étoiles redoutés par tant de personnes. Moi, je le défiais le Clan des Étoiles. Je l'attendais même. Qu'il vienne, qu'il se montre, qu'il se batte si il en a le courage. Mais pour l'instant il n'était pas sorti de son trou. Un jour viendra.

 [Je suis désolée j'me suis trompée de compte. Je suis toujours Clarté de la Lune. :3 ]

Je les fixais tous les deux. Il faut dire que je ne les appréciais guère. Pour moi c'étaient de simples étrangers, ni plus ni moins. Je ne leur accordais vraiment aucune importance. C'était de loin mes plus grandes préoccupations. Je ne sais même pas pourquoi je restais ici en si mauvaise compagnie. Autant j'appréciais le guerrier du Clan des Nuages, autant je ne pouvais pas me voir celui des Éclairs. Ce n'était pas un guerrier, certes, mais qu'importe ? Mon amertume envers lui restera la même. Il est vrai que j'avais ce côté hostile et méfiant envers les étrangers que personne ne pouvait réellement blairer. Mais nous avions chacun notre carapace et nos faiblesses à cacher, non ? J'avais aussi les miennes, tout comme vous, tout comme eux, tout comme nous. Chacun avait sa part de vivre, ses envies, ses drames, ses moments. Chacun avait quelque chose qui lui appartenait. Chacun avait quelque chose qu'il possédait. C'est ce qui faisait de nous des personnes correctes, non ? C'est ce qui détermine qui nous sommes, qui nous voulons être surtout.

♪

Je pouvais lire dans les yeux des deux matous de l'incompréhension, ce qui leur était fort probable. Je dois avouer que je n'étais pas toujours claire et précise, mais après tout j'étais comme ça. Plus le temps passe et plus je me rends compte que je suis monotone, que je me répète sans cesse. Je ne veux pas non plus placarder une grande affiche sur laquelle il serait inscrit « Merci de ne pas me changer, je suis comme je suis. » Je pense sérieusement que cette option deviendrait envisageable. Mais pour cela il faudrait que je me transforme en Bipède et je suis certaine que même le Clan des Étoiles ne pourrait pas y parvenir. Alors je vis comme je peux vivre, me contentant de ma vie de guerrière, qui bientôt s'achèvera. Tôt ou tard, nulle ne le sait. 

« Et bien, autant profiter du soleil alors, non ? »

Je dévisageais le guérisseur du Clan des Éclairs avec une sorte de dégoût. Était-il vraiment sérieux lorsqu'il avait prononcé ces paroles insouciantes ? Il était donc fort naïf. Quelle mouche l'avait piqué ? Nous étions de Clan différents, tous sans exception. Croyait-il vraiment que moi, Clarté de la Lune, j'allais rester à prendre du bon temps avec eux alors que les temps devenaient durs, alors qu'une guerre était sur le point d'éclater. Ils étaient tous aveugles ma parole ! 

« Je le ferais, soyez-en sûr, mais en une meilleure compagnie que celle-ci. »

Sur ces mots je les regardais un à un, puis m'en alla. Je n'avais plus vraiment de temps à perdre. Déjà qu'il m'étais compté. Il nous était compté à tous.