J’ai quitté le camp en pleine nuit. Pas pour toujours, voyons. Juste après avoir appris qu’Etoile Encrée était morte. Et ne reviendrait jamais. Comment cela avait-il pu se passer ? Je ne comprends pas. Encore hier, elle semblait en pleine forme, et majestueuse à regarder son Clan du haut de son surplomb. Le corps n’a pas été retrouvé mais de toute façon, même si il avait été là, devant mes yeux, j’aurais détourné la tête. Lâche, sans doute, mais je voulais garder une image de souveraine, intacte. Alors, ne supportant pas de voir mes camarades anéantis, je m’étais simplement recroquevillé sur moi-même. Seuls mon frère et sa bande semblaient faire semblant d’être anéantis, mais cachaient mal leur satisfaction et leur excitation. Car, oui, en effet, Danse Funèbre, notre nouvelle meneuse allait devoir choisir quelqu’un pour la seconder. Elle avait miaulé doucement, et le Clan s’était rapproché, d’un pas lourd. Elle avait parlé, essayant de remonter le moral de ces félins qu’elle allait bientôt devoir guider. Puis, elle a ensuite prononcé qu’elle allait choisir un nouveau lieutenant. Les yeux de ces brutes se mirent à briller, et firent tout pour se mettre en valeur. Moi, ça ne m’intéressait pas, et de toute façon, je n’avais pas intérêt à devenir lieutenant, sinon, plus de blessures pour moi. Je m’apprêtais à tourner les talons, lorsque j’entendis mon nom. Je relevais la tête vers sa provenance, et vit que le Clan entier me regardait. Non…Elle ne pouvait pas m’avoir choisi…Pas moi…Les félins violents m’observaient, avec dans leurs pupilles, un mélange de rage et de haine. Ohoh, pas bon pour moi. Soupirant discrètement, je m’avançai du Promontoire et jurai que je serais fidèle à mon Clan, et ceux pour toujours. Une fois la cérémonie terminée, que la plupart des félins se soient endormis, les autres en train de s’allonger dans la clairière pour veiller, malgré le fait du corps absent, tu t’engageas dans la sortie du camp et partit. Où ? Tu n’en sais rien. Tu avais juste besoin de réfléchir. Sans attendre, tu te mis à courir, en direction des Terres Libres.
La Lune brillait d’un éclat doux au milieu de sa progéniture que nous autres mortels appelons « étoiles ». Elle veille sur ce que nous ne pouvons pas voir, car nous sommes trop occupés à veiller sur nous-mêmes. J’arrive près d’un lac. L’eau a une teinte argentée, de la même couleur que mon pelage tigré qui a changé. Je ressemble à un membre du Clan des Etoiles alors que je n’en suis pas un. Je trottine à présent d’un pas tranquille, sous la nuit mystérieuse. Le temps, le temps s’écoule lentement, et je ne sais pas à quelle partie de la nuit j’en suis. Est-il presque l’aube ? Ou au contraire le début de la nuit ? Je n’en sais rien mais de toute façon, je n’ai même pas envie de savoir. Le sable humide crisse sous mes coussinets, et je sens l’odeur forte des poissons, qui nagent paisiblement dans l’eau cristalline. En plus, ça me donne soif. Je m’approche de la rive, et sort ma petite langue rose, qui quémande ce liquide transparent, qui s’écoule à quelques queues de souris de moi. Je m’approche un peu plus et lape l’eau avidement, mais avec délicatesse. Soudain, j’entends un bruit. Tiens ? Bizarre. Je ne peux pas sentir l’air, il n’y a pas de vent, donc je me dis que ce soit doit être un de ces animaux nocturnes qui partent chasser.
Je n’ai jamais eu peur de la nuit. Pour la plupart, c’est une ennemie, mais pour moi, c’est ma compagne, ma meilleure amie, ma partenaire dans ce monde sombre et énigmatique. Elle est ma cachette la plus fidèle, et souvent la traîtresse de ma confiance. Mais, elle est serviable, malgré sa mauvaise humeur de quelques fois. Je tourne les talons et rejoint le couvert des arbres qui tendent leurs branches vers moi, comme pour quémander de l’aide. Désolé, mais moi je parle pas le langage des pins, hein. Y a pas marqué « Aide spéciale pour les arbres dépressifs ». J’ai déjà beaucoup à faire, donc non merci. Je continues d’avancer, dans un chemin accidenté, où des grosses branches ont été jetées à terre violemment, avec des traces de griffures dessus, trop grosses pour être celles d’un chat. Donc, un ours. Je n’en avais jamais vu, mais beaucoup entendu parler par les anciens. Va falloir que je le traque, et je reviendrais plus tard avec une patrouille. J’ai beau être aux Terres Libres, qui dit qu’il ne décidera pas de changer de gîte un jour ? Je m’avance jusqu’à débarquer dans une clairière. Et y a une caverne en face de moi. D’accord, c’est là qu’il se terre ce truc. Bon ! j’ai plus qu’à repartir d’où je viens et je reviendrai demain avec une patrouille, comme ça, ça sera suffisant.
Mais à peine ai-je tourné les talons que quelque chose me heurte de plein fouet, m’envoyant bouler à deux queues de renards de là. J’heurtais violemment un tronc, et le souffle coupé, surpris, je restai quelques instants à terre. Puis, je me relevai et fis face au guerrier du Tonnerre, à en juger l’odeur, qui venait de m’envoyer dire coucou à un pin. Le poil hérissé, tu t’avanças vers ce guerrier bardé de muscles, qui roulaient sous sa fourrure écaille, et ses yeux de jade qui brillaient d’un éclat cruel dans l’obscurité. Je m’avançai un peu plus et lui dit d’un ton, où la colère perçait comme une épine de ronce, piquante comme la rose rouge :

« Faire attention à où tu cours, tu connais ?! S’excuser, tu connais aussi ?! S’pèce de matou puant !!!! »

J’avais complètement oublié qu’un immense danger roupillait à quelques pas de nous deux. La colère fourmillait sous ma peau, me donnant des frissons semblables à des décharges électriques, et toute idée de pacifisme avait disparu. Je brûlais que l’autre fasse un pas, pour engager le combat et rétablir mon honneur bafoué. Je voulais, pour la première fois de ma misérable vie« me battre ».