Le vent caressait doucement le pelage fauve de Rire de la Hyène. Le camp était encore silencieux et quelques gouttes de pluie commencèrent à tomber. La guerrière décida de se lever pour partir chasser et essayer d'attraper quelques proies, avant qu'il y est une averse. Sans faire de bruit, elle se glissa hors de la tanière, prenant garde à ne pas marcher sur les quelques brindilles qui jonchaient le sol. Une fois hors du camp, elle s'enfonça dans la Forêt Épineuse, à la recherche de sa future proie. Elle humait l'air, mais c'était assez compliqué de sentir quelque chose, même si la pluie était faible. Je ne dois pas rentrer la gueule vide ! songea-t-elle. C'est alors qu'un beau mulot bien gras passa juste devant la femelle, qui n'hésita pas un seul instant à se lancer à sa poursuite. Rapidement, elle rattrapa le rongeur et d'un coup de dent, elle mit fin à ses jours. Rire de la Hyène se délecta de l'odeur enivrante du sang qui coulait dans sa bouche. Satisfaite de sa prise, elle l'enterra et en chercha aussitôt une autre. Mais ce ne fut pas l'odeur d'un quelconque gibier qu'elle sentit, mais une autre odeur, bien particulière... Rire de la Hyène cracha : c'était l'odeur du Clan des Éclairs. La chasseuse au pelage fauve tacheté plissa les yeux. Elle suivit l'odeur et découvrit un petit chaton au pelage très sombre. La chasseuse du Clan des Marais s'approcha du chaton du Clan des Éclairs. Elle grogna :
 
 « Qu'est-ce que tu fiches ici toi ? »
 
C'est alors que la pluie se mit à tomber fort. 

« Un jour, tu seras grand. Tu seras grand et fort, le monde entier l'avouera, tout le monde connaîtra ton nom et des voix mystérieuses le murmureront dans l'esprit de tes ennemis, sans cesse. Certains te diront que l'amitié et la gentillesse est la clé de tout. C'est faux. Le secret c'est d'inspirer la crainte et de représenter le pouvoir. Ainsi les gens t'obéiront et se prosterneront devant toi. Crois moi, les grands meneurs sont ainsi. Ils sont sages et savent ce qu'ils doivent faire pour se faire respecter. Mais ne t'embrouille pas mon fils. La méchanceté gratuite, la mesquinerie et le sadisme ne te mèneront qu'à ta perte et à rien d'autre. Il est nécessaire de trouver l'équilibre, l'harmonie dans ton tempérament. Ne t'attache pas aux gens, sinon tes adversaires s'en serviront contre toi sans ménagement. Sois neutre et sur de toi face à ceux qui sont de ton côté, courageux et loyal pour ceux qui t'ont donné. Bats toi pour tes convictions, punis ceux qui le méritent. Sois juste dans tes actes. Et tu seras un grand guerrier. J'ai foi en toi Patte de Grêle. »


Ce discours de ma mère, peu avant sa mort, trottait dans mon esprit sans cesse. Je le connaissais par cœur, au mot près. J'entendais encore sa voix douce, mais ferme, me tenir chacune de ses phrases. C'était son expérience de la vie. Ce qu'elle avait retenu au fil des années et des saisons. Elle me l'avais transmis. Pas pour rien. Pas pour que je jette cette leçon aux oubliettes. Elle me l'avais dit pour que je l'applique, pour que je sache comment me comporter pour avoir ce que je voulais. Je la croyais. Et je ferais ce qu'elle attendait de moi. Comme un honneur à sa mémoire. Une poésie à sa réputation et une ode à sa gloire.


J'étais parti. Encore. Pour changer. Je mourais d'envie de connaître le monde, les autres territoires, les autres clans. Ma destination du jour était les Marais. J'étais allé jusqu'à la frontière, avait regardé à gauche, à droite, et l'avait traversé. Sans une pointe de peur, sans un soupçon de doute sur mes actes. C'était ce que je voulais, je le faisais. Et ainsi va ma vie. La plupart de mes expéditions se passaient bien et je ne croisais pas souvent de guerriers. Mais aujourd'hui était différent. Alors que j'étais assis, en pleine réflexion dans les hautes herbes, un bruit attira mon attention. Quelqu'un approchait. Intéressant. Je restai sans bouger jusqu'à apercevoir la femelle face à moi. Elle était grande, semblait puissante et surtout, pas ravie de croiser un compère sur son territoire.


 « Qu'est-ce que tu fiches ici toi ? »


Je penchai la tête sur le côté, et attendis deux ou trois secondes avant de répondre, le temps de trouver mes mots. Valait-il mieux que je l'énerve ou que j'essaie de me justifier, en lui mentant ? La vérité me semblait bien mieux. Tant pis si elle se mettait en colère. Au pire, que se passerait-il ? Elle me tuerait ? Mon clan serait ravie et la bénirait. Je n'avais pas de famille pour venger ma mort. Il en était ainsi.

« Je m'ennuie. »

La réponse fut quasi-immédiate. Le chaton lâcha tout simplement un :

« Je m'ennuie. »
 
Rire de la Hyène darda sur lui des yeux perplexes. L'ennuie provoquait-il la stupidité ? Visiblement oui, car le jeune chat semblait ne pas avoir bien comprit qu'il venait de mettre les pattes sur le territoire du Clan des Marais. Et les allers-retours ne couraient pas les rues avec Rire de la Hyène. C'était peut-être du au fait de son jeune âge. C'est vrai quoi, les chatons ne sont après tout rien d'autre que de petites boules de poils stupides. La guerrière se mit à réfléchir. Qu'est-ce qu'elle allait bien pouvoir faire de lui ? ... Le tuer ? L'idée était très alléchante mais Rire de Hyène risquait d'avoir quelques problèmes si jamais elle le faisait. Le ramener gentiment à la frontière et le faire promettre de ne plus revenir ? Ben voyons ! Peut-être au moins le blesser un peu, histoire d'être sûr qu'il ne mettra plus jamais les pattes sur le territoire du Clan des Marais. La femelle ricana, cette idée lui plaisait. 
La pluie continuait de tomber et les deux chats étaient à présent trempés. Rire de la Hyène s'en moquait.

« Moi aussi je m'ennuie tu sais. »

Elle sortit les griffes.

« Mais je pense que je vais bien m'amuser avec toi. »

La guerrière des Marais sembla tout d'abord saisie par la perplexité, ce qui n'était pas très étonnant. Les paroles qui venaient de sortir de ma bouche en aurait désarmé plus d'un. Ce qui m'intéressait à présent, c'était de voir comment elle allait réagir par la suite. La première réaction est celle qui est instinctive, celle qui vous vient du plus profond de vous, celle qu'il est très difficile de contrôler et de ne pas montrer. Puis, il y a la seconde attitude. Celle qui vous ai dicté par votre comportement, celle qui est tout droit la conséquence de la façon dont vous avez été éduqué, dépendante des épreuves que la vie avait éparpillées sur votre chemin. Certaines personnes auraient été tellement interloquées par ce que j'avais dit qu'ils auraient peut être voulu chercher pourquoi j'étais comme ça, d'autres l'auront pris comme un défi. J'attendais patiemment de voir dans quel camp le félin en face de moi allait se ranger. Je n'eus pas à attendre bien longtemps. Elle réagit très vite.

« Moi aussi je m'ennuie tu sais. Mais je pense que je vais bien m'amuser avec toi. »

Elle accompagna ses paroles d'un ricanement et elle sortit ses griffes. Je fronçai les sourcils. Ainsi elle était comme ça. A chercher le combat, la violence, à vouloir apeurer ceux qui le méritaient. J'en conclus rapidement que ce que j'avais entendu dire sur les combattants du clan des Marais étaient donc vrai. C'était la première que je rencontrais et à vrai dire, je n'étais pas déçu. Des matous aussi féroces, il n'y en avait pas vraiment dans mon clan. Ou alors, ils se cachaient vraiment très bien. Parce que je les avais cherché. En vain. Je n'en avais trouvé aucun. Je repoussai mes pensées. Ce n'était pas parce que j'étais plutôt satisfait de trouver quelqu'un d'un peu haineux que j'étais sorti d'affaire. Elle avait l'air assez prête pour me déchiqueter sur place. Mon cerveau se mit à pondre des informations utiles et inutiles à toute vitesse. Elle ne pourrait sûrement pas me tuer, comme ça, sans qu'il y ai de conséquences. Me faire du mal ? Qu'elle le fasse. Quand on souffre on sait qu'on est vivant.

« Sache que je ne me défendrai pas, ça ne servirait à rien. Je n'ai aucune chance contre toi. Ni contre personne d'ailleurs.  Et puis, ça ne me changera pas trop de d'habitude de me faire malmener »

Ma dernière phrase faisait évidemment allusion à la grande cicatrice qui me barrait le côté droit du coup. On devinait assez facilement les traces de crocs de mon père qui essayait de me broyer le cou. L'avait-elle remarquée ? Je l'ignorai. Et même, cela ne changerait pas grand chose. J'étais conscient que j'allais à tout les coups l'inciter à se défouler encore plus. N'était-ce pas ce que je souhaitai au fond ? Entretenir cette colère et cette haine au fond de moi ? Ne voulais-je pas garder le feu de la vengeance allumé dans mon cœur ? 

Les paroles du jeune félin étonnèrent encore la chasseuse du Clan des Marais :
 
« Sache que je ne me défendrai pas, ça ne servirait à rien. Je n'ai aucune chance contre toi. Ni contre personne d'ailleurs.  Et puis, ça ne me changera pas trop de d'habitude de me faire malmener »
 
Rire de la Hyène était irritée, ce fichu chaton ne semblait pas avoir peur. Il n'avait pas peur ! Elle laissa échapper un grognement. Après ce qu'elle venait de dire, la femelle tachetée était persuadée qu'il aurait aussitôt essayé de fuir, mais non il restait là, imperceptible, ce qui incitait encore plus la femelle à se jeter sur lui et à le tuer. Elle savait qu'elle pouvait le faire sans problème mais en même temps, elle savait qu'elle ne le pouvait pas. Grrr, c’était vraiment énervant. Il fallait qu'elle se décide rapidement à faire quelque chose, avant qu'un autre membre n'arrive et ne décide à sa place. Les oreilles dressées, elle vérifiait qu'aucun guerrier n'était dans les parages. 
Puis, elle frappa le chaton du Clan des Éclairs d'un coup de griffe au niveau du flanc, ce qui le fit rouler un peu plus loin.
 
« Ne t'inquiète pas, je ne vais pas te tuer. Je vais juste m'assurer que tu comprennes bien qu'il ne faut pas mettre ses sales petites pattes sur le territoire des Marais. Je ne te cache pas que tu vas avoir très mal. »
 
La souffrance. La douleur. Ce sont les mots préférés de Rire de la Hyène. Elle ne vit que pour infliger la souffrance et elle adore ça. Elle aime voir la terreur sur ses adversaires, leurs cris d'agonie.
Du sang coulait à présent de ses griffes. Elle les nettoya avec délectations.
 
« T'as vraiment pas de chance d’être tombé sur moi. »

La femelle face à moi semblait perturbée et encore plus énervée par mes dernières paroles. Lorsqu'un grondement se fit entendre du fond de sa gorge, je me dis que je n'aurai peut être pas du l'inciter à ce point. J'étais si petit et si chétif face à elle. Elle avait l'air d'être une sacré guerrière, physiquement comme mentalement. Son corps était musclé et souple à la fois. Elle semblait ne pas avoir de pitié, voir même chercher le combat. Lors de grandes batailles, ce sont sûrement des félins comme elle qui mènent, qui commencent à attaquer. Ce sont grâce à des matous comme elle qu'un clan peut espérer gagner une guerre. Tout au fond de moi, enfoui si profondément dans mon âme que j'en avais à peine conscience, je l'admirai. Elle était tout ce que je voulais être plus tard : un sacré combattant, sans foi ni loi. Mais la réalité me pesait sur les épaules. Actuellement, je n'étais qu'un chaton, j'avais posé les pattes sur le chemin de la vie depuis peu de temps et, malgré toutes les épreuves que j'avais traversées et le caractère que je m'étais forgé, j'étais faible et incapable de me défendre. Et il était évident que je n'aurais pas la même chance deux fois : si elle décidait de me tuer, si elle choisissait de me broyer la nuque, je vivrais alors mes derniers instants.


La guerrière me griffa le flanc. Retour brutal au moment présent. Je roulais quelques mètres plus loin. La douleur irradia tout mon ventre et je vis mon sang couler sur le sol. La flamme de la colère embrasa tout mon être et je savourai cette sensation. Oui, j'aimai me sentir énervé, être hors de moi, haïr des gens. C'était tout ce que je connaissais. Les blessures, la douleur, le rejet, le dégoût, la haine... Toutes ces sensations et ces sentiments me hantaient et m'habitaient en permanence depuis la mort de ma famille. J'aurais du être innocent, craintif, croire que le monde était beau et que n'importe qui m'aiderait et serait gentil avec moi. Mais le destin en avait décidé autrement et jamais je ne connaîtrai cette façon d'être. Jusqu'à ma mort, je me méfierai de tout le monde, je ne m'attacherai pas et je serais rejeté. Il en était ainsi.


La douleur finit par s'estomper un peu. Je me relevai péniblement. Ma fourrure noire était pleine de poussière. Je regardais l'étrangère des Marais. Elle semblait satisfaite d'elle. Je l'étais aussi. J'avais besoin de voir des êtres violents et pas des esclaves du code du guerrier comme chez les Éclairs. Il n'y avait que Petit Mirage qui valait le coup là bas. Est ce que je connaissais les autres ? Bien sur que non, ils ne voulaient pas de moi, alors comment voulez vous ?


« Ne t'inquiète pas, je ne vais pas te tuer. Je vais juste m'assurer que tu comprennes bien qu'il ne faut pas mettre ses sales petites pattes sur le territoire des Marais. Je ne te cache pas que tu vas avoir très mal. T'as vraiment pas de chance d’être tombé sur moi. »


Je regardai autour de moi avec attention. J'avais roulé près de la frontière, je n'en étais déjà pas loin quand elle m'était tombé dessus. Une idée me vint. C'était … Rigolo. Oui c'était le seul mot qui me venait à l'esprit. D'un petit pas nonchalant de bébé, je fis quelques pas et retournai sur le territoire des Éclairs. Je m'assis, l'observai, et déclarai :

« C'est bien comme ça ? »

Spoiler:

Rire le Hyène regarda le chaton se relever péniblement et se traîner jusqu'à la frontière qui séparait le Clan des Marais et celui des Éclairs. Il s'assit et regarda la guerrière dans les yeux en déclarant :
 
« C'est bien comme ça ? »
 
De tous les chatons qu'elle avait vus au cours de sa vie, celui-ci était de loin le plus étrange, mais en même temps le plus fascinant qu'elle avait vu, bien qu’elle se cachait de l’admettre. Il se fichait bien d'avoir mal et même si la femelle avait fait exprès de ne pas lui infliger un énorme coup, le chaton avait dû le sentir mais il n'avait rien dit, même pas un râle, acceptant la douleur. D'ailleurs à ce moment là, ce n'était pas de la souffrance que Rire de la Hyène avait lu dans ses yeux, mais bien de la colère, de la haine. 
Il devrait y avoir plus de chatons comme ça dans le Clan, et pas de petits geignards imbéciles qui n’apportent rien au Clan. 
Alors que ce chaton là… Rire de la Hyène en était sûr, plus tard ce serait un guerrier redoutable. La guerrière du Clan des Marais était très étonnée de savoir que ce chaton faisait parti du Clan des Éclairs.
Cependant la femelle au pelage fauve était déçue. A présent, elle ne pouvait plus rien lui faire. Elle n'aurait jamais dû lui laisser le temps de franchir cette maudite frontière, elle aurait aimé s'amuser encore un peu... 
C'est alors qu'elle se mit à rire en disant :
 
« Eh bien tu comprends vite. »
 
Mais... le désir du sang était toujours là. Elle n'allait pas le laisser filer maintenant. Mais si jamais un guerrier du Clan des Éclairs passait par là, elle aurait de gros ennuis. Tant pis.
D'un bon, elle franchit la frontière et se retrouva en face du chaton qu'elle prit par la peau du cou et le balança de l'autre côté. 
 
« Oups. Désolée je veux encore m'amuser. Pas toi ? »
 
 

Spoiler:

La guerrière se mit à rire. Je l'avais dis que c'était rigolo tout ça. Visiblement, elle était d'accord avec moi. Je restai assis là, sagement, en observant la nature autour de moi. Cet endroit était vraiment très étrange, avec des ronces partout. Beaucoup de petits rongeurs devaient se cacher là, c'était idéal pour ne pas se faire remarquer par les prédateurs. Mais le fait qu'il y ai ces plantes capables de vous écorcher la peau partout, n'était pas très rassurant. Est ce que tout le territoire du clan des Marais faisait autant froid dans le dos ? Les chats qui vivaient ici, qui voyaient ces paysages en permanence et qui ne connaissaient que ça, ne devait pas trouver cela vraiment bizarre. Mais, moi, qui n'était pas du coin, était étonné par la différence d'ambiance entre leurs terres et celle des Éclairs. Au final, c'était un peu comme si la nature s'adaptait à la majorité des personnes présentes, à leurs ambitions, leurs caractères. Les troncs des arbres autour de moi étaient si noirs, les buissons si foncés. Est ce possible que le destin ou le clan des Étoiles se trompe sur votre avenir et vous place au même endroit ? Pourquoi étais je né dans mon clan et pas dans un autre ? Surtout que je n'y correspondais pas du tout. Ils étaient tous si différent de moi. Et si j'étais né dans les Marais, cela se serait-il passer autrement ?


Je ne m'en étais pas rendu compte mais la guerrière avait franchi la frontière et elle m'attrapa par la peau du coup. D'un geste sec, elle me jeta de l'autre côté, dans son territoire, sur son terrain de jeu. Je volai, littéralement, avant de m'écraser mollement contre le sol. J'aurai du me douter qu'elle ne me laisserait pas partir aussi facilement, mais je n'avais rien vu venir. La naïveté de l'enfance était toujours présente en moi, la méfiance envers les adultes n'était pas encore ancré totalement en moi et à cause de cela, je me faisais avoir royalement. Je me relevai, crachai la poussière que j'avais dans la bouche.

« Oups. Désolée je veux encore m'amuser. Pas toi ? »

Évidement qu'elle voulait encore jouer avec le petit chaton qu'elle avait en face d'elle. C'était une opportunité tellement simple pour elle. Personne dans les alentours, moi sans défense et en plus, j'étais venu à elle volontairement, et je l'avais cherché. Je ne pouvais m'en prendre qu'à moi même. J'hochai la tête.

« Même si je refuse, tu le feras. Donne moi au moins ton nom, que je sache qui s'amuse à faire couler mon sang »

Le chaton hocha alors la tête et répondit :
 
« Même si je refuse, tu le feras. Donne moi au moins ton nom, que je sache qui s'amuse à faire couler mon sang. »
 
Qu'elle donne son nom ? Il osait lui donner un ordre alors qu'il n'était vraiment pas en position d'exiger quoi que ce soit ? C'était... drôle. La femelle esquissa un sourire et répondit :
 
« Donne-moi d'abord le tien, que je sache qui s'amuse à franchir les frontières. »
 
Elle observa le petit chat au pelage noir attentivement. Il était quand même bien abîmé. Comment allait-elle faire pour s'amuser encore alors qu'une autre attaque pourrait bien lui être fatale ? C'est alors qu'une idée traversa son esprit malsain. Les ronces. Voilà qui serait amusant !
D'un coup de patte, elle envoya le pauvre chaton se heurter aux épines qui se plantèrent dans sa peau. Rire de la Hyène s'assit en face du jeune chat et redemanda :
 
« Alors ? J'attends une réponse. Ensuite je t'aiderai à te dégager de là et tu pourras, enfin tu devras, rentrer chez toi. J'imagine que ça ne doit pas être très agréable... »
 
Rire de la Hyène était satisfaite de son coup. Une fois qu’elle aura obtenue ce qu’elle souhaitait du chaton, elle le renverra sur son territoire et là, le Clan des Eclairs verrait ce qui arrive à ceux qui osent désobéir et franchir la frontière qui sépare les deux Clans.

Elle sourit. Tout en disant ces mots, elle m'observait avec attention. Dans quel but ? Observer son travail ? Admirer les blessures qu'elle venait de m'infliger ? Elle pouvait être fière effectivement, j'avais valsé dans les airs, je m'étais cogné avec violence contre le sol et je saignai du flanc. Qu'allais je pouvoir raconter au guérisseur du clan ? Il m'avait déjà trop soigné après mes escapades sans en parler à notre meneuse. J'avais un doute sur le fait qu'il se taise encore longtemps. Il allait sûrement s'amuser à me dénoncer pour qu'on s'en prenne ouvertement à moi. Pff. Qu'on me remonte les bretelles ne changera pas grand chose. J'aimai l'aventure et je détestai mon clan. Ça ne changerait pas du jour au lendemain. Je posai mes yeux bleus sur la guerrière face à moi. Elle semblait avoir une idée derrière la tête. Je me demandai si cela lui arrivait d'être à cours d'inspiration machiavélique.

Quand elle s'approcha et que, d'un coup de patte puissant, elle me fit rouler dans les ronces, il était évident que non, elle devait avoir une réserve de scénarios sadiques assez conséquente. Je sentis les épines s'enfoncer dans mon pelage, percer ma peau. La femelle était maline, elle savait utiliser son environnement à son avantage et contre son adversaire. C'était remarquable. Est ce que tout les félins des Marais étaient ainsi ? Minutieux, astucieux, forts ? Beaucoup devait les craindre, mais sûrement aussi les respecter. J'étais en sale état mais pas déçu de mon excursion, je n'éprouvai aucun regret. La flamme de ma colère et de ma haine brûlait comme jamais et j'avais enfin rencontré quelqu'un qui n'était pas un nounours. J'avais beaucoup entendu parler d’Étoile Funèbre et le premier membre de son clan que je rencontrai, était le reflet de toutes les paroles que j'avais entendu à propos de sa meneuse. 

« Alors ? J'attends une réponse. Ensuite je t'aiderai à te dégager de là et tu pourras, enfin tu devras, rentrer chez toi. J'imagine que ça ne doit pas être très agréable... » 

Elle appuya bien sur le fait qu'il faudrait que je m'en aille. Me laisserait-elle vraiment partir ? Je n'en savais rien et il n'y avait qu'une seule façon de le savoir. Je lui répondis, tranquillement, en essayant de cacher le fait que les épines me faisaient vraiment souffrir.

« Je suis Patte de Grêle. Et non, ce n'est pas le moment le plus fun de ma journée »

Même si le chaton semblait vouloir le cacher, Rire de la Hyène voyait bien que les ronces le faisaient énormément souffrir. Mais il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même : c'était lui qui s'était aventuré ici sans autorisation et c'était lui qui avait provoqué la guerrière. Rire de la Hyène n'avait aucune pitié avec les intrus et ce matou s'en était vite rendu compte. Il répondit :
 
« Je suis Patte de Grêle. Et non, ce n'est pas le moment le plus fun de ma journée »
 
En tout cas pour la femelle tacheté, ça l'était. Mais il était temps d'arrêter ce petit jeu malsain. Elle lui dit :
 
« Patte de Grêle, hein. Je m'en souviendrais. Moi c'est Rire de la Hyène. »
 
La guerrière du Clan des Marais avait donné son nom sans réfléchir, mais après tout elle s'en moquait bien. Qu'est-ce que ça changeait qu'il le connaisse ou qu'il ne le connaisse pas ? Rien pour elle, à moins à ce qu'il rapporte son nom lorsque son Clan le verrait rentrer et lui demanderait ce qui lui était arrivé. Au moins comme ça les membres du Clans des Éclairs verraient de quoi Rire de la Hyène était capable.
Elle s'approcha de lui et le tira fermement par la peau du cou pour l'extirper des ronces. Elle le posa ensuite à terre. De nombreuses épines étaient encore plantés dans la peau de Patte de Grêle, ce qui lui donnait un air de hérisson. Rire de la Hyène se mit à rire, avant de montrer la frontière de la queue.
 
« J'aurais été ravie de m'amuser encore avec toi mais j'ai d'autres choses à faire malheureusement. »

Les épines. Partout. Elles s’enfonçaient de façon vicieuse dans chaque partie de mon corps. Dans mes pattes, dans mon flanc, dans mon dos, sur mon cou. Certaines se rapprochaient même dangereusement de mes yeux. Je gardai tant bien que mal la tête bien haute pour éviter de me faire piquer un œil. Je devais avoir l'air vraiment crétin. Et surtout très naïf, je m'étais vraiment fais avoir par cette guerrière. Elle n'avait fait qu'utiliser l'environnement en sa faveur. J'aurais pu le voir. Depuis le début ses ronces étaient là, elles n'étaient pas apparues là comme par magie. N'importe qui ce serait méfier. Mais je n'étais qu'un chaton de 5 lunes, qui ne connaît pas encore grand chose aux tactiques de combat. Je me souviendrai de cette idée que je trouvais lumineuse : le fait d'utiliser les éléments alentours.

« Patte de Grêle, hein. Je m'en souviendrais. Moi c'est Rire de la Hyène. » 

Pff, c'est moi qui allais me souvenir de ton nom. Une fois que j'aurais grandis, forcis et accumuler de l'expérience, je te chercherai, te trouverai et on pourra faire une petite revanche, à armes égales. Cette idée me convenait plutôt, elle était même attirante. Cependant, il fallait clairement que j'attende pour la réaliser. Pourquoi faut il toujours patienter pour pouvoir effectuer les actions les plus excitantes ? Devenir grand et fort nécessitait beaucoup de temps, acquérir de l'expérience aussi. Chaque jour, j'espérais que mon existence passe un peu plus vite, pour que je prenne ma revanche plus rapidement. Il est évident que tout ce qui se passait là, dans ma vie, me construisaient peu à peu et avaient une influence directe sur mon futur et sur le genre de guerrier que je deviendrais. Mais ça, je ne le savais pas encore et je ne m'en rendrais pas compte avant bien longtemps.

Rire de la Hyène, dont le nom lui allait parfaitement vu le nombre de fois où elle ricanait, me prit par la peau du cou et me sortit de ce piège épineux où je me trouvai. Elle me posa au sol et je fis une grimace. Avec les griffures qu'elle m'avait infligée, les fois où elle m'avait fait valser dans les airs et les épines, j'étais salement amoché. J'avais beau creuser dans ma mémoire, je crois bien que cette expédition là était la pire de toute. Il me faudrait certainement un peu de temps pour m'en remettre mais, même si j'avais été blessé et si j'avais souffert, j'avais retiré des leçons de cette rencontre. Pas qu'il ne fallait pas aller en territoire ennemi, oh non, ça je ne pourrais sûrement jamais me contraindre à arrêter, mais plutôt que l'on peut utiliser la nature pour se battre et surtout, que tout les félins de la forêt ne sont pas mielleux. 


« J'aurais été ravie de m'amuser encore avec toi mais j'ai d'autres choses à faire malheureusement. »


Tout en parlant, elle me désigna la frontière de la queue. Je n'allais pas me faire prier pour partir. Si je voulais survivre, il fallait que j'évite de désobéir et de la provoquer une nouvelle fois. Non, ce n'était pas de l'obéissance pour lui faire plaisir ou par envie d'obéir, mais c'était dans mon intérêt vital de le faire.

« Hum... J'imagine oui, mais tu trouveras bien quelqu'un d'autre sur qui passer tes griffes. Je ne suis pas le seul être du coin à saigner. »

Cette particularité que j'avais de m'exprimer de façon plus mature que les autres chatons, surtout face à des adultes, effrayaient les reines du clan. Soi disant, c'était encore une preuve que mon démon de père m'habitait. Stupide petites mamans poules. Elles étaient vraiment incapables de se rendre compte que j'avais grandis trop vite à cause d'elles, de leur stupidité et de leur esprit si restreint. On ne peut pas reprocher aux gens d'être idiots. Sur ces pensées, je retournai à petits pas vers mon territoire, celui sur lequel, je ne devrais, normalement, ne pas me faire attaquer.

Rire de la Hyène n'eut pas besoin de le dire deux fois. Tout en se dirigeant vers la frontière, Patte de Grêle marmonna :
 
« Hum... J'imagine oui, mais tu trouveras bien quelqu'un d'autre sur qui passer tes griffes. Je ne suis pas le seul être du coin à saigner. »
 
Ce chaton ne cessait jamais d'intriguer la femelle du Clan des Marais. Il ne parlait pas comme les autres chatons, il parlait de façon plus... mature. Ce qui, pour un chat de son âge, était étrange. D'ailleurs Rire de la Hyène ne perçut aucune peur dans la voix de Patte de Grêle. Malgré tous ce qu'elle avait fait endurer à ce pauvre chaton, il semblait s'en moquer. Ce qui agaça légèrement la guerrière, même si elle le cachait. Une fois qu'il dépassa la frontière, Rire de la Hyène grogna :
 
« Bon eh bien le Clan des Éclairs est prévenu maintenant. Si un autre membre de ton Clan vient mettre ses pattes ici, qu'il ne s'attende pas à repartir en un seul morceau. Je me ferais une joie de le transformer en chair à corbeau. »
 
La femelle au pelage fauve n'hésiterait pas une seule seconde à exécuter sa menace. Elle toisa le chaton au pelage sombre du regard et ajouta sur un ton glacial :
 
« Et c'est valable pour toi aussi. »

Spoiler:

Il est dangereux de jouer avec la flamme de la colère et de la haine. Il est risqué d'essayer de l'éteindre, tout comme la rendre plus grande et plus puissante n'est bon pour personne. Rire de la Hyène ne s'en rendait pas compte, mais à vrai dire moi non plus, mais tout ce qu'elle m'avait fait subir était comme de l'essence que l'on avait jeté sur l'incendie qui me ravageait de l'intérieur, il brûlait encore plus, il était plus fort et rien, pas même ma volonté ne semblait pouvoir l'arrêter. Je ne pensais pas que cela pouvait faire des dégâts. J'aimais être colérique et énervé contre les gens. C'était la seule façon pour moi de me sentir vivant. C'était tout ce que je connaissais, tout ce que l'on m'avait offert quand ma famille avait été décimé. Comment réagir autrement au rejet et aux regards qui pèsent sur vous ? N'importe qui, du chaton de mon âge, jusqu'au guerrier, aurait eu la même réaction : l'énervement, la solitude. Il en était ainsi, et j'étais quasiment habitué à toutes ces émotions que l'on ne ressent normalement pas autant. Tout cela me marquerait à jamais, comme une trace faite au fer rouge sur une peau claire et saine.

« Bon eh bien le Clan des Éclairs est prévenu maintenant. Si un autre membre de ton Clan vient mettre ses pattes ici, qu'il ne s'attende pas à repartir en un seul morceau. Je me ferais une joie de le transformer en chair à corbeau. » Elle ajouta ensuite : « Et c'est valable pour toi aussi. »

J'étais bien placé pour savoir qu'elle mettrait ses menaces à exécution. De plus, elle était puissante, intelligente et coriace. Exactement le genre d'adversaire qui vous met en difficulté. J'étais trop jeune pour me rendre compte du niveau des guerriers de mon clan, cependant, je savais que cette guerrière là, était une sacré et qu'elle devait faire beaucoup de ravages en combat. La guerre devait être son élément. Je n'en doutais même pas une seconde. Je m'éloignai encore un peu, me retournai une dernière fois et dis :

« Je pense qu'on se reverra Rire de la Hyène »

Je marchai ensuite vers mon camp, de mon petit pas un peu lourd de chaton, en claudiquant légèrement. Nul doute que cette vision devait satisfaire la femelle. 

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La femelle au pelage fauve regarda le jeune chat partir, avec satisfaction. Elle se lécha les pattes, encore couvertes de sang. Patte de Grêle se retourna une dernière fois et déclara :
 
« Je pense qu'on se reverra Rire de la Hyène »

Rire de la Hyène y comptait bien. Elle répondit :

« Oh je l'espère. »
 
C'était une évidence pour Rire de la Hyène. Elle savait qu'elle reverrait le chaton un jour, d'une manière ou d'une autre. Elle était même impatiente de le revoir, pour pouvoir s'amuser. 
Le petit félin au pelage noir avait du mal à marcher, ce qui était normal après les blessures qu'il venait d'endurer. Il devait souffrir énormément. La guerrière du Clan des Marais n'en fut que plus enchantée. Lorsque Patte de Grêle disparut de son champ de vision, elle rebroussa chemin pour retourner au camp. Elle faillit oublier sa prise de la journée, mais l'odeur alléchante du cadavre du mulot le lui rappela. Elle déterra sa proie et repartit enfin au camp. Rire de la Hyène était satisfaite de ce début de journée, elle ne s'était pas ennuyée.

 

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