« Patte de Chêne lui ira parfaitement ! » avait dit sa mère, quelques temps après sa naissance. Pourtant, le pelage gris clair strié de rayures plus sombres de son dernier-né ne rappelait en rien un chêne. La pointe de ses oreilles était vaguement arrondie et de couleur plus sombre, presque noire, tout comme ses pattes et son museau. Seuls ses yeux, d'un vert sombre mais pourtant relativement lumineux, faisait vaguement penser aux feuilles de ces arbres parfois centenaires.

M'enfin, laissons de côté les rêves d'une jeune maman pour se pencher davantage sur le chaton en question. En grandissant, Patte de Chêne acquit une taille moyenne, peut-être un tantinet plus grand que la moyenne. Ses pattes fines, peu adaptées au rapport de force, lui conférèrent toutefois une rapidité estimable.

Patte de Chêne n'a jamais fait partie de ces extrêmes vaguement pitoyables. Il n'a jamais été le plus terrible et méchant des chatons, ni même le plus gentil et loyal. Gentil sans être naïf, aventureux sans être courageux et loyal sans être aveugle, il s'est toujours situé à peu près au milieu, avec des traits assez équilibrés pour qu'il puisse être qualifié de banal. Bah oui, les simples chatons classiques et non pas destinés à des choses merveilleuses ou atroces existent. Il en est la preuve vivante. Mais puisqu'il se doit de se démarquer un tant soit peu des autres, nous citerons simplement sa capacité phénoménale à dire des âneries. On pourra également évoquer son ambition démesurée aux rêves quasiment inatteignables - du moins pour lui. Mais comme cette boule de poils est persévérantes et travailleuse comme personne, rien n'est encore écrit.

Une demi-lune très calme et paisible. Les arbres bruissaient et si on écoutait un peu mieux, on aurait presque pu entendre le cri d'une mouette. Les vagues s'écrasaient sur une plage comme elles le faisaient depuis des milliers d'années déjà. Mais Reflet d'Ardoise se fichait bien de ces détails, de la beauté du paysage qui l'entourait. A vrai dire, elle vivait sa première mise-bas, là, alors que le guérisseur du Clan des Océans était absent. Son compagnon, Poil de Renard, était lové contre elle, donnant de frénétiques coups de langue sur son ventre, comme s'il allait apaiser sa douleur et son angoisse par ce simple geste. Pourtant, après deux bonnes heures de travail invisible, le premier chaton vint au monde. Entièrement blanc, il détonnait au milieu des pelages fauve des deux parents. Le second arriva à son tour, lui vêtu d'un poil brun uniforme. Le troisième - et dernier - petit était gris clair, comme la mère de sa mère. Patte de Chêne était enfin né et déjà prêt à casser les pattes de son paternel.

Patte de Chêne grandit lentement, peut-être davantage que son frère aîné au poil fauve - Patte Fauve qu'il s'appelait d'ailleurs - mais plus que le chaton blanc. Celui-ci était en effet une femelle albinos aux regard rouge assez difficile à soutenir. Lui ? Il tenait les yeux verts de son père et ça lui allait très bien. D'une beauté classique, il se fondait dans la masse des chatons, s'illustrant de temps à autre par une question loufoque mais non-dénuée d'intérêt. Il arrivait qu'on le regarde de travers lorsqu'il s'écriait, le plus sérieusement du monde : « Un jour, je serais le chef d'un Clan. » Sa mère se contentait de le remettre à sa place en l'informant que, avant tout, il lui fallait devenir apprenti. Et ce temps approchait à grand pas puisque Patte de Chêne aurait bientôt six lunes, soit l'âge requis.